ENQUÊTE SUR UN SCANDALE D’ETAT
Critique du film
Il est toujours étonnant de constater qu’à une époque où l’information circule à une vitesse sans précédent, touchant ainsi un spectre toujours plus large de la population, la vérité n’a pas toujours bonne presse.
Décriés comme le “degré zéro” du journalisme, relayés au rang du sensationnalisme destiné à ébranler les sphères de pouvoir au nom d’une prétendue frustration, les articles dits “de révélation”, publiés entre les pages des grands quotidiens vendus en nos kiosques de presse, se retrouvent bien souvent tachés de suspicion – au profit de quelques interruptions spéciales de chaîne d’information en continu, à grands coups de génériques pensés spécialement pour l’évènement et regards sérieux face caméra des présentateurs.
C’est avant tout ce rapport à l’information, relayée par la parole d’un homme contre tout un système aux nébuleuses faisant la part belle à l’immoralité, que s’est intéressé Thierry de Peretti dans son Enquête sur un scandale d’Etat. Adaptation très libre de l’ouvrage co-écrit par Hubert Avoine, ancien infiltré auprès de l’Office français des stupéfiants, et Emmanuel Fansten, journaliste à Libération, le film s’appuie sur la mise en lumière d’une incroyable affaire de corruption au cœur même de l’institution chargée de la répression du trafic de stupéfiants, pour mieux raconter la relation inédite entre un journaliste et sa source, et leur progressive obsession commune pour l’enquête qu’ils mènent.
TOUS RIPOUX (?)
Partageant sa narration éminemment immersive avec son support d’inspiration, Enquête sur un scandale d’Etat plonge son spectateur directement dans l’action, sans explications autres que celles qui seront progressivement révélées au fur et à mesure des rencontres entre le lanceur d’alerte Hubert Antoine et le journaliste Stéphane Vilner, interprétés respectivement par Roschdy Zem et Pio Marmaï. Dialogues ciselés, plans-séquences cadrés au corps des protagonistes et bande originale organique créent l’atmosphère parfaite d’un long voyage dans l’envers du décors des grandes opérations policières, menées plus moins froidement par le commissaire Jacques Billard, interprété par Vincent Lindon.
Très vite, le personnage d’Hubert soulève les interrogations. Derrière sa louable intention de dénoncer magouilles et autres petits arrangements d’un homme de loi pour qui tous les moyens sont bons, son irascible besoin d’en raconter toujours plus sur celui auquel l’unit bien davantage qu’un simple rapport hiérarchique brouille les pistes entre le témoignage et la confession. Si sur ce point, la performance extrêmement méticuleuse de Roschdy Zem est à saluer, l’enchaînement des répliques n’est pas sans perdre le spectateur sur ses véritables intentions. À considérer que les années passées à cacher la vérité finissent par exploser, et être légitimement teintées d’affect, les brusques réactions du personnage et ses tendances violentes en font davantage un anti-héros cherchant une forme de rédemption qu’un citoyen consciencieux, à la probité chevillée au corps au point d’en attendre autant au sein des hautes arcanes de la République.
Ainsi, avec plus ou moins d’habilité, le film joue sur la vraisemblance du discours de son protagoniste pour questionner plus généralement la complexité et la profondeur de ce que peut être un témoignage aussi explosif. Parfois drôle tout en étant sombre, énervant mais aussi bouleversant dans les anecdotes qu’il livre sur son ancien patron, la parole de l’infiltré devient un avatar plus ou moins convaincant, non pas de ce qui est vrai ou non, mais de la propriété d’un récit, et à qui appartient ce qui est raconté.
RÊVE-LATION
Outre l’enquête menée par le journaliste et sa source, Enquête sur un scandale d’Etat fait également la part belle au journalisme en général – allant jusqu’à traiter Libération bien moins comme un décor mais d’avantage en véritable personnage. Tourné dans les locaux du quotidien d’information, les scènes du film se fondent avec le quotidien réel des journalistes passant dans le champ. Outre un réalisme évident, le travail de ces rédactions d’investigation est remarquablement mis en avant comme un travail d’équipe, tout en restituant la liberté de parole de chacun.
On retiendra notamment la salle de rédaction, dont la disposition n’est pas sans rappeler la composition des théâtres antiques. Moment central qui scande des journées aussi ritualisées que libres, le cadre strict contraste avec les changements de tons qui peuvent y avoir lieu. Une dimension théâtrale qui aura grandement inspiré Thierry de Peretti, qui en tire sans conteste ses scènes les plus réussies. À contrario, l’unique scène montrant le commissaire corrompu en confrontation avec sa hiérarchie pêche autant par son écriture que la prestation de Valeria Bruni Tedeschi, qui peine à être crédible en tant que procureure générale de Paris face au personnage de Vincent Lindon.
Indéniablement immersif, inégal dans ses choix de réalisation et d’écriture de dialogues, Enquête sur un scandale d’Etat n’échappe pas à l’écueil des thrillers policiers qui privilégient les ambiances à la cohérence du scénario – malgré une réflexion intelligente autour de la valeur d’un témoignage à sensation, ainsi que la dépeinte adroite des mécaniques de journalisme d’investigation.
Bande-annonce
9 février 2022 – De Thierry de Peretti
avec Roschdy Zem, Pio Marmaï et Vincent Lindon
