THE OUTFIT
Leonard, un tailleur anglais crée des costumes sur le célèbre Savile Row de Londres. Mais après une tragédie personnelle, il part à Chicago, où il tient une petite boutique dans un quartier difficile. Il y fabrique de beaux vêtements pour les seules personnes du quartier qui peuvent se les payer : une famille de gangsters dangereux.
Critique du film
Graham Moore est peut être un nouveau venu à la réalisation avec The Outfit, mais il s’est déjà fait remarquer avec Imitation Game en 2015 comme scénariste. Les prémisses d’un talent de conteur, attaché aux détails et à une progression narrative ciselée était déjà bien présents avec ce film réalisé par Morten Tyldum. Le moins que l’on puisse dire est que ce premier long-métrage comme metteur en scène porte la marque d’un auteur attaché à l’écriture et à une architecture bien pensée. Ce premier film se situe dans le Chicago post Deuxième Guerre mondiale, au cœur d’une guerre de gangs comme le cinéma en a développé si souvent quand il est question de la ville de tous les vents. Nous sommes en décembre, dans l’atelier de celui que tout le monde nomme « English » du fait de ses origines britanniques, tailleur/coupeur de profession.
L’exposition est très minutieuse, à l’image de cet homme dévoué à son métier, un artisanat qu’il a appris dans la rue la plus renommée du monde en matière de confection de costumes, la fameuse Savile row de Londres. English est attelé à créer une veste neuve, tout ce qui se passe autour de lui semble glisser sans jamais l’atteindre tout à fait. En voix off, il confie les préceptes de son art, tout en feignant d’ignorer les gangsters qu’il laisse utiliser sa boutique comme boite aux lettres discrète dans leur quotidien violent et délictueux. La caméra ne quitte pas un instant cette modeste boutique qui abrite chaque plan du film, donnant une humilité déconcertante à une trame pourtant se complexifiant avec les minutes qui défilent.
Les tables de découpe d’English deviennent le centre d’une guerre entre familles rivales, sur fond d’écoute du FBI et recherche d’un traitre mystérieux qui pourrait être n’importe lequel des personnages, le tailleur lui-même représentant un suspect potentiel. La métaphore du vêtement qui ne fait pas l’homme est particulièrement adéquate ici. Tout le jeu de l’auteur est d’enchaîner les fausses pistes pour créer une sorte de « whodunnit » tortueux assez surprenant et d’une grande habileté. La caractérisation de ce vieil anglais expert dans la découpe de tissus est un véritable exercice d’orfèvre. Narrateur privilégié de son histoire, il se révèle être bien plus que ce qu’il paraît être, un homme de l’ombre incapable d’un dépassement de fonction, lui que personne ne soupçonne de la moindre malice.
Pour parfaire son projet, Graham Moore s’est entouré d’un acteur de qualité en la personne de Mark Rylance. Célébré sur le tard, notamment chez Steven Spielberg (Le pont des Espions) ou Christopher Nolan (Dunkerque), il apporte son flegme et sa voix si particulière à son personnage, un homme dont au final on ignore tout, bâtissant sa propre légende comme aurait pu le faire un Erich von Stroheim, travestissant la vérité pour mieux devenir quelqu’un d’autre. Mis à nu, English révèle une nature insoupçonnée, qui, au delà des mots qu’il utilise avec autant de talents que ses fameux ciseaux auxquels il tient plus tout, se révèle terrifiante. Les secrets qu’un être cache sont comme une seconde peau dissimulée sous les couches de soie et autres matériaux nécessaires à la fabrication d’un costume sur mesure.
Le seul reproche qu’on peut faire à ce très joli film noir, c’est sans doute d’abuser quelque peu de ces fameuses strates d’informations qui font grossir l’épaisseur de l’intrigue, jusqu’à un dénouement presque trop consistant pour une histoire qui fonctionnait très bien sans ces derniers ajouts. Mais s’il est un peu trop large, ce costume préparé avec amour pendant près d’une heure trois quarts garde une allure certaine et beaucoup de classe. Comme le dit English dans sa conclusion, si la perfection doit être visée mais jamais atteinte, il faut alors recommencer sans cesse pour réussir ses objectifs. C’est sans doute ce que l’on souhaite à Graham Moore, de nouveaux films pour confirmer cette belle impression.
De Graham Moore, avec Mark Rylance, Zoey Deutch et Dylan O’Brien.