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LA LÉGENDE DU ROI CRABE

De nos jours, dans la campagne italienne, de vieux chasseurs se remémorent la légende de Luciano. Ivrogne errant dans un village isolé de Tuscie, Luciano s’oppose sans relâche à la tyrannie du Prince de la province. La rivalité grandissante entre les deux hommes, alimentée par les passions et la jalousie, pousse Luciano à commettre l’irréparable. Contraint à l’exil dans la lointaine Terre de Feu, à l’extrême sud de l’Argentine, l’infortuné criminel, entouré de chercheurs d’or cupides, se met en quête d’un mystérieux trésor enfoui qui pourrait bien être sa seule voie vers la rédemption. Mais sur ces terres arides, seules l’avidité et la folie prévalent.

Critique du film

À Alice Rohrwacher, ils empruntent le grain de pellicule et l’actrice Maria Alexandra Lungu (Les merveilles). À Matteo Garrone, les « gueules » et la volonté de représenter le pays réel. Venus du documentaire, Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis passent à la fiction en filmant une légende : une fable de plus dans ce courant du cinéma italien moderne qu’est le fantastique.

Pour mettre en scène un conte populaire, les deux réalisateurs répliquent la trame narrative de leur documentaire Il Solengo (où ils poursuivaient un homme-sanglier). Ainsi, les passeurs de La légende du roi crabe, d’immémoriaux chasseurs italiens, ouvrent chacun des deux chapitres du long-métrage. Attablés, ils cherchent à se souvenir, comparent leurs versions, discutent tel ou tel détail.

Quasi chorós antique, ils viennent encadrer le récit mais aussi le légitimer en tant que mythe. Comme si les deux documentaristes avaient besoin de se rattacher à la réalité pour créer leur fiction.

Le fait du prince, rien à foutre

On ne sait pas bien si Luciano, l’ivrogne magnifique, a existé. Son récit, toutefois, perdure. Celui de David contre Goliath, celui de la République italienne qui se soulève contre ses ducs et ses comtes. Pour Luciano, le narratif est encore plus simple. Quelque chose a changé, le prince a fermé arbitrairement une porte vers les pâturages. Le soulard veut que tout redevienne comme avant : le fait du prince, rien à foutre.

À moins que, justement, Luciano ne cherche qu’un prétexte pour se faire remarquer, Diogène renversant l’ordre établi. Ou à bousculer la position de son bourgeois de père, le médecin du village : Jupiter-Zeus contre Saturne-Chronos. Ou peut-être plus simplement, à attirer l’attention de la jeune femme qu’il veut séduire, Emma (Maria Alexandra Lungu), la fille du tavernier. Celle qui lui vaudra d’être ostracisé.

la légende du roi crabe

Deux chapitres et demie

Un conte en deux chapitres, pour deux univers qui s’entrechoquent. D’abord, des bergers et leur despote au fin fond du Lazio ; ensuite, des pirates et un ratichon à la recherche d’un trésor pour conclure. Parce que Luciano est contraint à l’exil. Que faire lorsque le conte ne peut plus être transmis, parce qu’on ne sait simplement pas ce qu’il est devenu ? Changer complètement de légende, laisser les chasseurs à leur banquet et à leurs spéculations.

Un deuxième mythe débute en Argentine. En Patagonie, dont l’immensité photographiée par Simone d’Arcangelo n’est pas sans rappeler celle de Jauja (Lisandro Alonso, 2015). Jauja aussi parce que de fable, le film vire au western. Une fois arrivé au « cul du monde » [le titre de la seconde partie] c’est bien une succession de duels que rencontre Luciano.

Rédemption, crabe et picole

En Patagonie, Luciano devient le prêtre de sa propre paroisse. Il aurait récupéré sa robe de bure sur un ecclésiastique à l’agonie. Trouvé mourant, à ses dires ; libre au spectateur d’en douter. Le curé lui aurait ensuite transmis son secret : l’emplacement d’un trésor. Et le crustacé qui devrait lui montrer la voie, un imposant crabe royal de Patagonie.

Celui-ci suscite toutes les passions. Les compagnons d’infortune de Luciano se déchirent, le groupe se réduit à chaque virage dans leur randonnée mystique. L’ivrogne cherche à se trouver lui-même, la rédemption peut-être. Il devient progressivement évident que, comme Aguirre dans sa jungle, Luciano finira complètement seul. Et qu’une fois sa quête terminée, revenir ne sera plus vraiment la question.

Bande-annonce

23 février 2022 – De Alessio Rigo de Righi et Matteo Zoppis, avec Gabriele Silli, Maria Alexandra Lungu et Severino Sperandio.