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BELFAST

Été 1969 : Buddy, 9 ans, sait parfaitement qui il est et à quel monde il appartient, celui de la classe ouvrière des quartiers nord de Belfast où il vit heureux, choyé et en sécurité. Mais vers la fin des années 60, alors que le premier homme pose le pied sur la Lune et que la chaleur du mois d’août se fait encore sentir, les rêves d’enfant de Buddy virent au cauchemar. La grogne sociale latente se transforme soudain en violence dans les rues du quartier. Buddy découvre le chaos et l’hystérie, un nouveau paysage urbain fait de barrières et de contrôles, et peuplé de bons et de méchants.

Critique du film

De ses adaptations de Shakespeare (son premier film, Henri V, puis Hamlet et d’autres) jusqu’à Thor, Cendrillon et une deuxième adaptation d’Agatha Christie, Kenneth Branagh a toujours mis en scène les légendes des autres. Avec Belfast, c’est sa propre légende qu’il filme, récit théâtral de son enfance pendant la guerre civile nord-irlandaise.

Belfast en couleurs, de nos jours. La caméra survole un mur, une rue aux allures de décor de studio. Le noir et blanc s’installe. 1969. Un jeune garçon ; la vie – idéale – qui bat son plein. Au bout du lotissement, une foule belliqueuse débarque. Charge en règle : carreaux brisés, flammes et pavés planants. Des dizaines d’angles de caméra qui se répondent. Le chaos, mais orchestré avec minutie. Comme pour assumer le côté cinéma, l’aspect reconstitution. Des souvenirs sur pellicule.

Van Morrison Musical

Des souvenirs de Belfast, en fait le regard de Kenneth Branagh sur ce qu’il y a vécu cinq décennies plus tôt. Il y a quelque chose de touchant dans l’emphase que le réalisateur sollicite pour mettre en images son enfance. Ou de foncièrement agaçant, diraient ceux qui y voient un film « à Oscars ». Belfast à la toute fin des années 60, c’est le début d’une longue guerre civile entre catholiques et protestants. Dans l’esprit de Kenneth Branagh, une suite d’images violentes et confuses, présentées dans son film à travers un double filtre : vues à hauteur d’un enfant, mais rapportées cinquante ans plus tard par le cinéaste qu’il est devenu.

Belfast

Ce que l’on pourrait reprocher à Belfast, c’est en fait le cinéma selon Branagh. Un certain faste de la mise en scène, un côté « carton-pâte » assumé et parfois, les violons. Ici, les guitares de Van Morrison qui chapitrent le film ; on en vient à se demander si Belfast n’aspirait pas à être une comédie musicale. Non, c’est Jamie Dorman, pas Jamie Bell. Enfin, un noir et blanc saillant façon Roma, surtout pensé pour mettre en avant les quelques éléments en couleur : les films que regardent les personnages au cinéma, et une pièce de Dickens. Parce que Branagh soigne ses mémoires, documente le rapport au cinéma enthousiaste d’un petit garçon, son admiration face à L’Homme qui tua Liberty Valance. S’autorise une séquence quasi-anachronique où les membres de la famille se voient tomber lorsque la voiture de Chitty Chitty Bang Bang s’élance d’une falaise sur l’écran devant eux. Des bribes d’une vie d’enfant, de ces moments et dialogues qu’on garde toute une vie.

« I don’t wanna leave Belfast ! »

Belfast est toujours prêt à assumer le spectaculaire, le quasi-mélodrame. Branagh abuse des cuts marqués après des phrases « choc » qui résument une discussion plutôt que de la montrer (« Daddy, are we going to leave Belfast ? »), fait toujours dans le théâtral pour diriger son casting d’ensemble. « Pa » et « Ma » (Caitríona Balfe et Jamie Dorman) qui rayonnent en se déchirant sur la direction que doit prendre leur vie de famille ; tout comme la génération précédente, « Granny » (Judi Dench) et « Pop » (Ciarán Hinds) jamais avares de commentaires en forme de leçons de vie. Et surtout, le « wee » [petit, ndlr.] Jude Hill, touchant et brillant alter-ego du réalisateur.

Belfast
Autant de personnages dont les passions éclipsent l’aspect documentaire sur les « Troubles ». Le film se place à hauteur de Buddy : le jeune garçon sait que deux camps s’affrontent et à peu près dans lequel il se trouve. Quant à donner du sens à tout cela, il en est bien incapable. Tout au plus jalouse-t-il les catholiques dont les péchés disparaîtraient après chaque confession, a-t-il entendu dire. Son rapport à l’Église relève là encore d’une forme de spectacle. En témoigne une séquence où un pasteur éructant (Turlough Convery) prêche sur les deux chemins de vie que chacun peut emprunter. Deux routes, métaphore très littérale et terrifiante pour le jeune garçon qui ne cesse d’y repenser du choix qu’il aura à faire.

Plus qu’un metteur en scène, Branagh est un conteur. Ses instants de vie reconstitués visent l’universel. Belfast reste une affaire de sentiments – bons ou mauvais, là n’est pas vraiment la question. Parce que ceux de Buddy sont ceux de n’importe quel gosse de neuf ans dont les parents veulent déménager. N’importe quel gosse de neuf ans, par contre, n’a pas à traverser une guerre civile.

Bande-annonce

2 mars 2022 – De Kenneth Branagh, avec Caitriona Balfe, Jaimie Dornan et Jude Hill