BRUNO REIDAL
1er septembre 1905. Un séminariste de 17 ans est arrêté pour le meurtre d’un enfant de 12 ans. Pour comprendre son geste, des médecins lui demandent de relater sa vie depuis son enfance jusqu’au jour du crime. D’après l’histoire vraie de Bruno Reidal, jeune paysan du Cantal qui, toute sa vie, lutta contre ses pulsions meurtrières.
Critique du film
Ce premier film du rennais Vincent Le Port repose sur un fait divers ayant secoué en 1905 le département du Cantal. Bruno Reidal, jeune adolescent de 17 ans, poignarde François Raulhac, un enfant de 12 ans, et se dénonce à la suite de ce meurtre. Alors qu’il est arrêté et emprisonné, les médecins tentent de comprendre ses pulsions de violence par le biais de son parcours qui est relaté par des pages manuscrites qu’il rédige et dans lesquelles il se délivre.
Le jeune réalisateur de 36 ans réalise avec Bruno Reidal une autopsie pure et dure d’un enfant soumis, et ce dès son plus jeune âge, à des envies de meurtre et de violence. Vincent Le Port place le spectateur en acteur tout au long du long métrage. Cette plongée anatomique dans le cerveau torturé de ce jeune homme se fait entendre tout au long du film par une voix-off : celle de Bruno qui se dévoile entièrement et librement sans aucune contrainte. Le cinéaste prend alors le parti de faire se découvrir son personnage au fur et à mesure de son évolution, de ses questionnements, de ses doutes, de ses choix, et ce avec une pudeur procurée par des aveux extrêmement poignants.
Ce parti pris orignal du réalisateur s’ancre dans cette observation subjective du personnage dans lequel l’empathie prend totalement le pas sur les horreurs commises par lui. Le spectateur prend ainsi une part inhérente à l’action en se plaçant dans la peau des médecins qui sont les seuls réels spectateurs du récit de Bruno. Si cette confession intime porte avec elle une force évidente, il est cependant assez regrettable de constater qu’elle s’estompe lorsque la narration connait quelques moments creux, mous et répétitifs. Certains instants adoptent une distance entre narration et action qui vient alors créer un interstice fin entre ces deux éléments propres au long-métrage. Cette dissociation réflexive, bien qu’intéressante à certaines occasions, perd à quelques occasions une consistance suffisante.
L’atout majeur du long-métrage tient surtout dans son propos qui ne cesse d’inspirer les réalisateurs contemporains (Anita Rocha da Silveira avec Médusa par exemple) qui naviguent habilement entre prégnance religieuse et besoin libérateur qui découle de ces dictats qui enclavent encore bien trop les jeunes croyants. Les religions possèdent une ambivalence qui est à la fois de s’ancrer dans un besoin vital de croire pour exister mais aussi dans la frustration propre à une jeunesse en quête de liberté, et qui engendre par cette croyance une destruction intrinsèque de l’homme dans son envie de vitalité et d’affranchissement.
Si la violence et la cruauté, portées par le personnage de Bruno, proviennent de diverses sources, le protagoniste masculin porte sur lui cet écrasant besoin d’expier ses pêchés. Cette inébranlable foi de Bruno joue sur la corde sensible en offrant aux spectateurs une émotion et un mal-être tel, que le personnage principal les confère instantanément au travers de l’écran. Bien qu’on ressente une profonde volonté et une grande envie émanant du réalisateur de filmer cette histoire, Bruno Reidal nous donne à quelques occasions l’impression que Vincent Le Port n’étreint pas suffisamment avec passion sa narration. Il semble demeurer simple observateur sans être pleinement et totalement investi au sein de celui-ci.
Cependant, ce premier film démasque une ruralité signifiante afin de la baigner dans une aura propre à une Histoire de l’Art qui fait se ressusciter diverses peintures. Les plans filmés par le réalisateur Vincent Le Port paraissent pour la plupart faire écho à des artistes tels que Jean-François Millet ou encore Jules Breton. Ces plans, tels des peintures vivantes, rendent hommage à ces artistes tout en leur insufflant une modernité et une grâce rafraîchissantes. Bruno Reidal tend à la vision de plans artistiques conceptualisés avec soin et dans lesquels chaque détail est pensé, scruté et décortiqué avec minutie et précision. Malgré une douceur qui émane de ces plans, ceux-ci créent une dichotomie légèrement déconcertante entre le sujet, le support et le propos propre au film qui interroge et interloque.
Bande-annonce
23 mars 2022 – De Vincent Le Port, avec Dimitri Doré, Jean-Luc Vincent et Roman Villedieu.
Cannes 2021 // Semaine de la Critique