MURINA
Sur l’île croate où elle vit, Julija souffre de l’autorité excessive de son père. Le réconfort, elle le trouve au contact de sa mère – et de la mer, un refuge dont elle explore les richesses. L’arrivée d’un riche ami de son père exacerbe les tensions au sein de la famille. Julija réussira-t-elle à gagner sa liberté ?
Critique du film
En 2017, Antoneta Alamat Kusijanovic avait réalisé un court métrage, Into the blue, dans lequel apparaissait déjà Gracija Filipovic, alors âgée de treize ans. La réalisatrice croate a souhaité avec Murina, son premier long métrage, développer l’univers et le personnage du court métrage qui avait été récompensé dans de nombreux festivals.
L’action du film prend place sur une île fictive, reconstituée avec des prises de vues de trois îles différentes. La nature et les paysages, loin d’évoquer des cartes postales, apparaissent austères, sauvages et hostiles à l’image des relations tendues à l’extrême qui se tissent entre un père extrêmement violent, possessif et jaloux, et sa fille, adolescente à la sensualité qui s‘éveille, mais qui reconnaît n’être jamais tombée amoureuse. L’île constitue un lieu clos, refermé sur lui-même, comme cette culture ancestrale fermée à la nouveauté ou à l’émancipation. C’est l’arrivée d’un étranger qui va être le révélateur de ces tensions de cette prison et de cette volonté de s’en affranchir, de gagner sa liberté, quel qu’en soit le prix à payer.
Car le père, prisonnier de traditions dans ce qu’elles ont de plus réactionnaires et machistes, maltraite Julija, qu’il considère davantage comme une employée que comme sa propre fille. Cet homme est peut-être le plus fragile de cette histoire, tant sa violence et sa hargne contre sa propre fille nous semblent disproportionnées, incompréhensibles, révoltantes. Contre-nature. Julija a le courage et le jusqu’au boutisme des adolescents qui, confrontés à la violence ou à la résignation des adultes, ne peut accepter la fatalité, l’atavisme d’une mentalité rétrograde et inspirée par une haine de l’autre sexe, trop exacerbée pour ne pas être une haine de soi-même et peut-être une peur ancestrale de la femme et de son pouvoir spirituel.
Tuer le père
Ce machisme du père, cette violence larvée ou parfois plus explicite, est comme un poison distillé lentement par le père et qui a déjà contaminé son épouse, qui semble avoir baissé les bras. Car la relation de Nela avec sa fille Julija apparait emplie de rivalité et cette mère, dont on devine ce qu’elle a pu endurer dans son couple, a très certainement abdiqué sa liberté et sa vraie personnalité. L’arrivée de Javier, riche étranger et ami du père, met en lumière toute la complexité et la violence de ces relations familiales, mais aussi peut-être un secret lié au passé. Quel est le sens de la vraie relation entre Nela et Javier.
La réalisatrice, qui reconnaît que le cinéma de Jane Campion l’a énormément marquée, a beaucoup fait répéter ses comédiens en amont et les a fait vivre durant un mois ensemble sur une île, afin que l’identification aux personnages, aux situations soit optimale. L’intensité du jeu des comédiens, les scènes sous-marines de toute beauté, l’aspect onirique et symbolique de certains passages, tous ces atouts font de Murina un très beau premier film qui évoque la tragédie grecque : tuer le père, symboliquement ou pas, se rebeller contre sa famille et tout un héritage culturel oppressant et violent. Lauréat de la Caméra d’Or à Cannes, présenté aux Arcs Films Festival, Murina touche par sa rudesse et sa sensibilité. Un film à la fois singulier et universel, triste et beau, à l’image d’une fin ouverte où l’issue compte moins que ce qu’on a eu le courage de dire et de faire.
Bande-annonce
20 avril 2022 – De Antoneta Alamat Kusijanovic, avec Gracija Filipovic, Danica Curcic, Leon Lucev