HANA-BI
L’inspecteur de police Nishi est dans une très mauvaise passe. Sa femme est atteinte d’un mal incurable et alors qu’il abandonne une planque pour aller la voir à l’hôpital, son collègue et ami, Horibe, est grièvement blessé par le criminel qu’ils recherchaient. Horibe en ressort handicapé à vie. Rongé par la culpabilité et la douleur et criblé de dettes contractées auprès de yakuzas, Nishi démissionne, décide de braquer une banque et va s’occuper de ces deux personnes qui lui sont chères tout en tentant d’échapper à la fois aux gangsters et à la police qui le cherchent.
Critique du film
Septième film de Takeshi Kitano, Hana-Bi commence par un très beau générique constitué de peintures exécutées par le comédien/réalisateur lui-même, après l’accident de moto qu’il eut en 1994 et qui faillit lui être fatal. Si la mort, la violence et le suicide sont des thèmes très présents dans ce film, cette œuvre n’est jamais pesante ou lugubre. À l’image des toiles colorées et un peu naïves de Kitano, le film comporte un côté enfantin, ludique, avec ses vignettes comiques (la collision entre deux chauffeurs, le coup de portière asséné à un importun, qui renverrait presque au cinéma burlesque ou au cartoon, les touches humoristiques entre Nishi et sa femme).
La violence du film, assez crue et qui intervient parfois de façon inattendue, est contrebalancée par ses touches d’humour mais aussi par une délicatesse et une sensibilité, tant dans la forme que dans le fond. Et le personnage de Nishi, que campe Takeshi Kitano, est à l’image du film, à la fois fruste dans sa violence et d’une grande délicatesse à certains moments. Ainsi, la façon dont il écarte un tricycle qui lui barre la route alors qu’il rentre chez lui (Sa fille est décédée à l’âge de 5 ans et sa femme comme lui ont été dévastés par cette perte), les gestes tout en retenue qu’il a envers sa femme ou l’écoute dont il fait preuve envers Horibe et ses aspirations. Non seulement il lui achète le matériel de peinture dont Horibe a besoin pour s’occuper et qu’il ne peut se payer, mais il va jusqu’à inclure dans le matériel le béret d’artiste auquel a fait allusion son ami.
Nishi est comme mort lui-même. Les épreuves passées et présentes l’ont laminé et il semble ne plus avoir de peur le concernant. Seul lui importe le sort de sa femme et de son collègue. Il ne se hâte jamais, n’a pas peur de recevoir des coups ou de se mettre en danger. La mort lui est familière à travers son expérience professionnelle mais aussi son parcours personnel. Cela ne l’empêche pas de plaisanter et de faire preuve d’une très grande attention envers ceux qu’il aime.
Dans sa forme, le film est assez épuré. Peu de dialogues. On va à l’essentiel et le recours à l’ellipse est fréquent, notamment dans les scènes burlesques ou violentes. Beaucoup de plans fixes. On prend son temps, peut-être parce qu’on sait que l’issue sera fatale. Et surtout le réalisateur fait preuve d’une grande retenue. Malgré la tragédie, pas d’effusion de larmes, ni de cris. Seulement la volonté de se battre pour ceux qu’on aime. La musique de Joe Hisaishi, qui ne paraphrase jamais les images, vient aussi apporter une mélancolie et une légèreté qui sont comme une diversion dans ce cheminement qui pourrait paraître désespéré mais qui a l’élégance de ne jamais tomber dans le pathos. Aucune scène n’est dramatisée à outrance.
Le film a remporté plusieurs prix dont le Lion d’Or à Venise. Malgré ses récompenses, ses nombreuses qualités formelles et la notoriété grandissante de Kitano depuis Sonatine, le film fit un score très modeste dans de nombreux pays. C’est d’autant plus regrettable qu’il s’agit sûrement du plus beau film de Takeshi Kitano, le plus émouvant et celui qui réussit le mieux à allier différents tons de l’humour potache à l’élégie pudique.
À la croisée du polar et du mélodrame, ce film qui, sur le papier aurait pu paraître « too much », car trop noir, trop désespéré réussit par son élégance et sa sobriété à éviter cet écueil et à constituer une œuvre marquante et toujours aussi intense plus de 20 ans après sa conception.
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