MEMORY HOUSE
Critique du film
Racisme, machisme et intolérance sont au coeur de ce drame dans lequel João Paolo Miranda Maria convoque les forces du passé pour rendre compte des dérives du Brésil actuel. Un film âpre et fort, récit naturaliste ponctué de visions fantastiques où l’homme et l’animal se rejoignent pour former le premier rempart d’une résistance qui prend des allures de danse macabre.
Au rythme de son personnage principal, Memory House décrit lentement mais sûrement les étapes d’une métamorphose. Fragilisé par l’âge, avili par sa condition d’ouvrier, isolé pas son statut d’expatrié intérieur, Cristovam semble promis à subir une fin de vie de réprouvé. La laiterie qui l’emploie depuis plus de 20 ans l’a d’abord contraint, suite à une fermeture d’usine, à quitter sa région natale (État de Goias) pour rejoindre une colonie autrichienne établie dans le sud du pays. Le film s’ouvre sur un entretien professionnel au cours duquel, on lui annonce, dans une posture faussement paternaliste, que la société ne peut faire face à la crise qu’en baissant les salaires. Impénétrable, Cristovam encaisse et reprend son travail dans sa blanche combinaison de cosmonaute d’opérette.
Qu’il soit chez lui avec son chien, au travail, au restaurant collectif ou au bar, Cristovam est filmé dans des cadres fixes comme autant d’étaux que de lents zooms avant finissent de resserrer autour de sa personne. Il trouve un peu de réconfort, dehors, au contact des troupeaux de vaches avec lesquels il communique en jouant du berrante, un instrument traditionnel. Puis ses pas le conduisent vers une toute petite bicoque qui semble abandonnée. C’est dans cette maison des souvenirs que le vieil homme va trouver les ressources pour entamer un processus de réappropriation de soi. C’est là aussi que le récit commence à malaxer une matière prodigieuse qui irriguait le film, depuis le début, par son empreinte sonore extrêmement sophistiquée. En proie à des visions hallucinatoires, la victime Cristovam se transforme en dangereuse bête blessée. Ses découvertes successives construisent une panoplie de chimère guerrière qu’il endosse peu à peu. Bottes et chapeau de cow-boy d’un côté, sagaie et masque folklorique de bovidé de l’autre. Il fait figure d’épouvantail dans la petite communauté qui va apprendre que le temps des moqueries est bien fini.
Le film décrit une double trajectoire, celle d’une renaissance et d’un abandon. Renaissance au monde d’un homme acculé et abandon aux forces occultes. Du blanc hygiénique jusqu’au noir absolu, le film traverse le spectre chromatique laissant les couleurs primaires exprimer toute la vulgarité du monde. S’il ne réussit pas tout, notamment le traitement de l’homme vis à vis des femmes, trop caricatural, Memory House se promène avec aisance à travers les registres narratifs et produit un cinéma aussi placide que puissant porté par Antonio Pitanga, acteur légendaire du Cinema Novo qui impose ici une présence obstinée que nul ne peut arrêter sur le chemin qui l’érige et le condamne en figure sacrificielle.
Le film, qui a obtenu le label de la sélection officielle du festival de Cannes 2020 (l’édition fantôme) s’inscrit dans une production sud américaine contemporaine qui trouve une souce d’inspiration dans le dialogue entre tradition et modernité. On pense aux récents beaux films de Ciro Guerra et Cristina Gallego (Les Oiseaux de passage, Colombie), Maya Da-Rin (La Fièvre, Brésil) et Kiro Russo (Le Grand mouvement, Bolivie) qui révèlent, chacun à leur manière, le malaise de sociétés qui cherchent à croître en se coupant de leurs propres racines.
Bande-annonce
31 août 2022 – De João Paolo Miranda Maria
avec Antonio Pitanga, Ana Flavia Cavalcanti et Soren Hellerup