WALDEN
Après trente ans d’exil à Paris, Jana revient à Vilnius. Elle veut retrouver le lac que Paulius, son premier amoureux, appelait « Walden ». Chronique de la jeunesse lituanienne d’avant la chute du bloc communiste, où, entre premiers émois et marché noir, les rêves de liberté s’incarnent à l’Ouest.
Critique du film
La Lituanie en 1989 vit les derniers instants du rideau de fer soviétique. Le mur de Berlin va bientôt « tomber », et l’URSS vit ses derniers soubresauts avant son explosion et la naissance d’Etats libres et souverains. Comme les deux autres nations baltes, c’est un pays qui n’a connu l’indépendance que pendant un court laps de temps, celui qui sépare les deux Guerres mondiales, avant une reprise en main par le voisin russe. La réalisatrice tchèque d’origine bulgare Bojena Horackova raconte avec Walden une histoire qui est familière à une jeunesse du bloc de l’Est qui a ressenti la fin d’un système, tout en ayant du mal à passer à autre chose. C’est la première idée développée par ce film à l’allure fragile beaucoup plus profond qu’il n’y parait au premier abord.
On suit Jana, encore lycéenne, au début de son histoire d’amour avec Paulius, à peine plus âgé qu’elle mais qui est déjà déscolarisé, au chômage, et assez rebelle dans sa manière de refuser le changement à venir. Si tous sont conscients que quelque chose de nouveau approche dans leurs vies, un certain flou demeure sur ce qui n’est qu’une ligne d’horizon aux contours flous. Paulius n’est pas de ceux qui attendent, il braconne sur le terrain du marché noir, veut provoquer les choses tout de suite sans qu’on les lui donne éventuellement. Si c’est lui qui instille l’idée de l’exil dans l’esprit de Jana, c’est elle qui devient la plus active dans cette recherche d’ailleurs qu’ils s’étaient promis d’atteindre ensemble.
Le titre du film renvoie au texte éponyme de Henry David Thoreau, auteur américain du XIXème siècle, et à un étang du Massachussets qui polarise toute l’histoire. L’autrice reprend cette disposition en faisant du lac un point de destination à atteindre dans le cadre d’une fuite qui est le rêve commun des deux jeunes gens. Summum d’une pensée écologiste et libertaire, Walden de Thoreau se retrouve dans cette envie de liberté qui est scandée inlassablement par Paulius. Le paradoxe est que c’est Jana qui finit par s’installer en France, comme l’atteste ces courts moments encapsulés dans le récit où trente ans plus tard elle revient en Lituanie pour découvrir ce qu’est devenu son pays et ses amis.
Walden de Bojena Horackova est très économe dans ses effets, quelques scènes entre amis à la sortie du lycée et dans leurs activités régulières alternant avec des dialogues simples cristallisant l’inquiétude des uns face à l’enthousiasme des autres face au changement qui s’annonce. L’impatience de Paulius et Jana détonne, à peine contrariée par de rares enquêtes de police qui pourraient contrarier leurs plans, mais qui se trouvent être plus là pour la forme que dans un objectif de contrôle de la population déjà beaucoup plus libre que dix ans auparavant. L’esprit tourné vers la fuite avec une communion magnifique avec la nature, les lacs lituaniens sont omniprésents dans l’histoire, Walden capte la lumière des derniers instants avec beaucoup de talent et de gravité, faisant le deuil d’un monde qui aura péché à propager ses idéaux.
Bande-annonce
7 septembre 2022 – De Bojena Horackova, avec Ina Marija Bartaité, Laurynas Jurgelis et Fabienne Babe.