BLONDE
Inspiré du best-seller de Joyce Carol Oates, Blonde réinvente la vie de l’une des plus grandes légendes d’Hollywood, Marilyn Monroe. De l’enfance difficile de la petite Norma Jeane à l’ascension vers la gloire de l’icône Marilyn, en passant par sa vie amoureuse mouvementée, le film brouille la frontière entre réalité et fiction pour explorer le décalage qui n’a cessé de grandir au fil du temps entre l’image publique et la véritable nature de Marilyn Monroe.
Critique du film
Présenté à la Mostra de Venise, puis en soirée de gala à Deauville, Blonde d’Andrew Dominik se penche sur la vie tourmentée de l’icône hollywoodienne Marylin Monroe, étoffant un peu plus la mythologie de l’une des figures les plus célèbres du 20e siècle. Pas vraiment un biopic, cette adaptation du roman éponyme de Joyce Carol Oates immerge le spectateur dans la psyché de la star pour une virée radicale parfaitement assumée par son metteur en scène – en dépit des réticences de Netflix qui a obtenu les droits d’exploitation du long-métrage. Il signe une plongée aussi fascinante que chaotique dans le destin d’une étoile hollywoodienne de zones de turbulences et d’éclats, de période de brume et d’ombres et de lumière, essentiellement situé à Hollywood, Los Angeles. Un monde où les corps des femmes sont des marchandises échangées pour l’excitation masculine et le profit.
Blonde s’ouvre sur la petite enfance de Norma Jean(e), enfant illégitime de père (in)connu, élevée par une mère alcoolique et abusive, culpabilisant sa fille d’être née et d’avoir ainsi fait fuir l’homme qu’elle aimait. Maltraitée moralement et physiquement, et presque assassinée par cette parente inconsolable – un soir, lors d’un épisode de psychose, elle tente de noyer sa fille dans un bain bouillant -, la petite Norma Jean est finalement placée dans une famille d’accueil puis en orphelinat – bien que l’enfant revendique de ne pas l’être, ayant toujours un père (un célèbre comédien qu’elle n’a jamais rencontré) et une mère (placée en institution).
Par une ellipse, le récit traverse la Seconde Guerre mondiale et suggère les premiers jobs de mannequinat, jusqu’à ses premiers petits rôles à Hollywood, à l’aube d’une carrière d’actrice qui la consacrera comme l’une des comédiennes les plus célèbres à travers le monde. Pourtant, son ascension sera semée d’embûches et de coups durs, dès ses prémisses. Être aspirante actrice à l’époque (et encore trop fréquemment de nos jours), impliquait trop souvent de se soumettre aux abus sexuels des financiers, plusieurs décennies avant l’ère #MeToo, et aux avis arbitraires d’une galerie d’hommes blancs qui préfèreront une candidate à une autre, pour un quelconque attribut physique. Être une femme dans un univers patriarcal.
Par une mise en scène et un montage sophistiqués, Andrew Dominik brosse un portrait esthétisant de l’individu derrière l’icône qui, sur le plus grand écran possible, prend des airs d’allégorie aussi sidérante de beauté que terrifiante d’horreur.
Norma Jean vs. Marylin Monroe
Toute cette dichotomie s’illustre dans l’exploration des affres de l’actrice, Blonde mettant en exergue ses insécurités dans son travail comme dans sa vie personnelle, ses rêves de grande carrière (sérieuse) comme son désir de maternité, son manque d’amour et son besoin pathologique de validation par les hommes traversant sa vie, et, bien sûr, en point d’orgue, l’absence d’un père mystérieux qui jalonne le film de son prologue à son ultime scène.
Si le mythe Marylin fascine toujours autant, soixante-ans après sa mort, c’est qu’il y a finalement derrière ce patronyme non pas deux mais bien trois personnages en un. Norma Jean Baker, la fille lambda, un brin naïve et résolument vulnérable, qui aspire comme beaucoup à la romance, à la réalisation de ses rêves et à la sécurité financière et affective. Celle que peu auront finalement connu véritablement. Et puis, le deuxième, Marilyn Monroe, l’avatar, la pin-up, le sex-symbol propulsé sous les projecteurs par le cinéma et le tourbillon médiatique. Mi-ange, mi-démon, Marylin ressemble à la créature ultime d’un système, avec sa silhouette séduisante, une voix douce et juvénile, ses doubles initiales jumelles et un patronyme taillé pour la gloire. Et ses caprices de star, à la santé mentale fragile, qui la rendaient parfois insupportable pour ses collaborateurs devant et derrière la caméra.
Marylin Monroe est devenue une sorte de figure universelle, comme un costume de super-héroïne que Norma Jeane revêtait, se parant d’une inoubliable chevelure peroxydée, d’un rouge à lèvres pétant, de vêtements sensuels et de talons aiguilles pour éclipser Norma derrière le masque grand public. Pourtant, paradoxalement, cette héroïne scintillante et glamour portait un fardeau : celui de l’auto-dépréciation et du harcèlement moral et sexuel où son corps féminin (scruté de tou.te.s, y compris d’elle-même) dans une culture misogyne. Ce corps-là qui affecte Marylin comme Norma, une enveloppe corporelle presque maudite, sera victime de problèmes gynécologiques chroniques et d’assauts sexuels réguliers, de plusieurs avortements forcés et de tragiques fausses couches qui briseront son rêve de maternité.
I’m not a star, I’m just a Blonde
Puis il y a ce troisième personnage, enfin : la Blonde, ce symbole de pureté, presque virginale, que l’on croirait issu des contes de fées et des grands récits divins. Cette Blonde, sorte de femme élégante et désirable, tout en restant raffinée, à la vie sans faille, à des années lumière de Marylin, souvent ramenée aux injures libidineuses et haineuses – Alfred Hitchcock dira même que Marylin a le « sexe écrit sur le visage« .
Personnage aux multiples facettes qui sont autant de jeux de dupes, où ce qui se reflète dans le miroir est si souvent loin de la vérité, Blonde s’appréhende comme une fascinante réinvention de la vie de Norma Jean et de son alter ego Marilyn Monroe. Un produit commercial créé de toutes pièces pour y projeter toutes sortes de fantasme (de l’amour à la haine, de l’idolâtrie à la détestation), mais surtout une tragique représentation de la misogynie d’Hollywood. Magnifiquement mis en scène, en dépit de ses excès – qui en irriteront plus d’un – et de sa longueur – qui en découragera d’autres -, Blonde place le spectateur comme un énième voyeur dans l’existence d’une femme maudite, qui aura joué toute sa vie avec les apparences et la vérité, pour tenter d’en capturer l’essence.
Dans la peau de l’emblème immortalisé par Andy Warhol, Ana de Armas apparaît comme une évidence, se donnant corps et âme à son personnage, ne se cantonnant pas à un vulgaire exercice de mimétisme mais proposant bel et bien une réincarnation aussi envoûtante que complexe de la charismatique et indomptable icône. L’actrice cubaine, honorée pour son début de carrière à Deauville, livre une performance lumineuse devant la caméra d’Andrew Dominik, dont la proposition radicale devrait en laisser plus d’un sur le carreau. Pour autant, cette expérience, qui aurait mérité le plus bel écrin pour faire honneur à sa sublime photographie, ne laissera clairement pas indifférent.
Bande-annonce
28 septembre 2022 (Netflix) – D’Andrew Dominik, avec Ana de Armas, Bobby Cannavale, Adrien Brody