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TICKET TO PARADISE

Un couple séparé est réuni pour tenter d’empêcher leur fille de commettre la même erreur qu’eux jadis : céder au coup de foudre.

Critique du film

Si le paradis des riches est fait de l’enfer des pauvres (Victor Hugo), celui de certains grands studios de production est souvent fait de la conjonction d’un duo de stars en tête d’affiche et de lieux de tournages dépaysants. Faut-il dès lors s’étonner que, ce qu’il reste de ces édens se refermant en pièges lucratifs sur les amoureux des salles obscures, soient communément appelés “box office” ?

Pourtant, si Ticket To Paradise est la dernière poussée en date de ces jardins “luxe-hurlant”, la culture de cette à présent régulière végétation cinématographique ne date pas d’hier. Depuis l’émergence de l’îlot Hollywood, l’éclosion du film dit “à vedettes” n’a eu de cesse de prospérer. Films dans lesquels la seule présence de grands noms populaires suffisait à remplir les fauteuils rouges, la prolifération fut telle qu’elle vit germer un nouveau spécimen : les couples de cinéma. Des mythiques Ginger Rogers et Fred Astaire, en passant par les romantiques Meg Ryan et Tom Hanks ainsi qu’Emma Stone et Ryan Gosling, ces tandems judicieusement croisés offraient plus d’un pétale de talent – et le plus souvent au service d’un scénario et d’une mise en scène à faire découvrir.

De ces coroles embaumantes, Ticket To Paradise cherche indéniablement à s’inspirer. Mais en allant cueillir Julia Roberts et George Clooney pour leur faire fleurir les rivages de la comédie familiale, les mains malhabiles du réalisateur et scénariste Ol Parker noient ce couple glamour à grandes arrosées de clichés – récoltant un regrettable gâchis.

PARADISE’S COST

Ticket To Paradise

Il serait malvenu de réduire Ticket To Paradise à la simplicité de son scénario. À bien des égards, il s’agit là de l’atout majeur du film, avec la capture impeccable quoique trop publicitaire de la faune et flore indonésienne. Malgré ce qui semble être devenu la mode en la matière, les meilleurs divertissements n’ont besoin ni de l’artifice de rebondissements grossiers, ni de la multiplicité de sous-intrigues pour porter le fruit de la réussite. En revanche, la simplicité d’une histoire ne résulte pas nécessairement d’une écriture simpliste, dans laquelle l’étoffe des personnages n’est pas plus épaisse qu’une serviette de plage.

Or, c’est là le cœur du voyage proposé, dont l’existence ne tient qu’au fil paradoxalement trop mince de l’évidente aisance financière des protagonistes. Lui grand architecte, elle acheteuse d’art, leur seule et unique fille vient de boucler de brillantes études de droit avec un poste d’avocate à la clé. S’il n’est pas le premier film du genre à donner à ses personnages de grandes carrières leur permettant toutes les folies – et donc, de belles péripéties – il est consternant de constater qu’en 2022, l’absence de contraintes matérielles soit encore et toujours l’avatar essentiel mais soigneusement tu d’une liberté pour le moins utopique.

La réussite de la jeune fille, pour le moins exceptionnelle car liée à un parcours ultra compétitif comme seul il en existe aux Etats-Unis, sert simplement de point de départ à sa romance. Pourtant, rejetée au profit d’un coup de foudre et d’une existence qualifiée par elle de plus « équilibrée » au milieu de la nature et d’un cocon familial forcément plus sain parce que plus fourni en nombre, cette réussite est précisément ce sans quoi personnage comme état de fait n’existe pas. Quant à la condescendance nauséabonde qui émaille le portrait familial du fiancé natif de l’île, elle trouve son point culminant dans une scène de confrontation avec le futur beau-père qui paradoxalement, pose la question la plus intéressante de tout le scénario : l’ambition naturelle doublée du train de vie de la jeune fille ne finiront-ils pas par avoir raison de ce paradis trop lisse ?

Ticket To Paradise

Tel est bien le bas blessant de Ticket To Paradise qui, sous couvert d’emphase sur des relations humaines dénuées de tout intérêt matériel, montre Bali sous sa plus pure forme touristique. En résulte une hypocrisie qui n’en est que plus difficile à ignorer qu’elle jette sur tous ses acteurs une ombre au mieux grotesque, au pire antipathique. S’y ajoutent des péripéties par trop connues des comédies romantico-dépaysantes, auxquelles se greffent des clichés qui achèvent de sceller la narration sous le sceau du vide.

En tête, on retiendra l’inexistence exaspérante du personnage de la meilleure amie, dont le seul intérêt est de servir de déversoir à un monologue explicatif du père quant aux circonstances l’ayant mené au divorce avec la mère. S’y ajoute également le nouveau petit ami de celle-ci, dans la plus pure tradition du Français au charme ravageur mais à la pitrerie aussi farouchement chevillée au corps que notre prétendue passion hexagonale pour le mime.

TICKET TO (UN)JOYFULL RIDE

Le sourire qui aurait dû éclairer les lèvres du spectateur au sortir de cette escapade ensoleillée manque d’autant plus cruellement que le plaisir visible que prennent Roberts et Clooney à partager l’écran avait le potentiel de briser certains traits communs.

À la femme divorcée forcément en couple avec un homme plus jeune (et plus « simplet ») qu’elle, que n’aurions-nous pas aimé voir une relation équilibrée de deux êtres se traitant avec amour et respect, peu importe la différence d’âge. Le désagréable parallèle de Julia Roberts en mère compréhensive se retrouvant à presque materner son nouveau « beau » fait plus généralement grincer plus d’une dent, à commencer par celle de l’égalité des sexes. Tous les couples (systématiquement hétéronormés), présents ou passés, répondent à une triste logique de domination, souvent matérielle mais également culturelle.

Ticket To Paradise

Enfin, le postulat de départ du scénario repose sur le rapport désastreux entre les deux anciens époux, dont l’obsession de l’échec de leur couple les pousse à se livrer une bataille sans merci pour les faveurs de leur unique enfant. Si le ressort tristement comique n’est pas nouveau, on regrettera là encore que le film ne fasse pas le choix plus éclairé d’imaginer une fin toute aussi “heureuse”, mais parachevant le cheminement vers une nouvelle relation fondée sur la recherche du bonheur de l’enfant, sans qu’il ne soit nécessaire pour les deux parents de renouer une relation amoureuse.

Dès lors, et non sans regrets, Ticket To Paradise propose un double aller simple vers la paresse cinématographique et scénaristique, tout confort réservé à une certaine (première) classe. Un film qui échoue sur les plages d’un divertissement tristement vide de sens, en vendant en prime un rêve par trop de fois déjà cauchemardé.

Bande-annonce

5 octobre 2022 – De Ol Parker
avec Julia Roberts, George Clooney et Kaitlyn Dever