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LA VIE CONJUGALE

Chacun leur tour et chacun avec son point de vue personnel, Françoise (Marie-José Nat) et Jean-Marc (Jacques Charrier) racontent les grands événements qui ont marqué leur vie conjugale : la rencontre, le mariage, la naissance de leur enfant, le déménagement en province, la jalousie et les doutes.

Critique des films

Au cours des années 60, André Cayatte, vivement critiqué pour son académisme et ses films à thèse par la Nouvelle Vague, cherche à se renouveler et se lance dans un projet cinématographique audacieux avec le diptyque La Vie conjugale. Revenant à ses souvenirs d’ancien avocat, il se rappelle combien les visions que des époux en instance de divorce avaient de leur histoire commune pouvaient être radicalement opposées. Il décide alors de raconter l’histoire d’un même couple à travers deux versions, l’une du point de vue de la femme, l’autre de l’homme.

Ce qui marque en premier lieu avec La Vie conjugale, que l’on commence par la version de Françoise ou celle de Jean-Marc, c’est sa vision très binaire avec d’un côté la femme et de l’autre l’homme, et tous les a priori qui vont avec. Mais c’est cette binarité qui est intéressante, tant elle est caractéristique de la société des années 60 et tant elle sous-tend la façon dont Françoise et Jean-Marc vont vivre leur relation et rejeter les torts sur l’autre. Ainsi le film prenant pour point de vue Françoise montre la dominance patriarcale de la société et la volonté de sa protagoniste principale de ne pas s’enfermer dans ce schéma en revendiquant son indépendance et sa propre réussite (Cayatte se montre une fois de plus très en avance sur son temps en abordant ce sujet, notamment en évoquant à plusieurs reprises la question des prédateurs sexuels).

Mais en regardant l’autre versant de l’histoire, on voit combien les expériences personnelles de Françoise et la société vont finalement biaiser le regard de celle-ci envers son mari. De même Jean-Marc ressent sur ses épaules tout le poids de la société patriarcale, divisé entre son besoin de s’accomplir professionnellement (en accord avec sa morale) et son devoir de père de famille de subvenir aux besoins de son foyer et d’offrir un standing à son épouse, qu’il ne voit que comme superficielle et préférant l’argent et les mondanités à sa famille. Le point de vue de Françoise dévoilera que Jean-Marc ne comprend en fait pas les motivations plus profondes de la volonté d’émancipation de sa conjointe. La Vie conjugale montre finalement comment ces deux êtres se sont enlisés dans des rôles prédéfinis et comment ces rôles vont avoir raison de leur couple lorsqu’ils chercheront à s’en défaire.

Françoise ou la vie conjugale

Au-delà du constat assez glaçant de la société des années 60 (et dont certains points sont encore d’actualité…), La Vie conjugale porte une vérité plus universelle sur les relations de couple (ou de société en générale) montrant combien toute vérité est subjective. Il a fallu trois ans à Cayatte pour réussir à écrire ces deux films, qui se suffisent à eux-mêmes et ne se répètent pas mais dont le visionnage des deux ouvre à une troisième interprétation, celle du spectateur (et qui est encore une fois subjective). Après avoir vu un des deux films, même si l’on sait que le regard de l’autre opus sera en faveur de l’autre protagoniste, on n’est cependant pas au point d’imaginer combien la version qui va nous être proposée sera différente. Cayatte ne se contente pas de dévoiler des choses qui sont hors champs ou supposées dans l’autre film, il s’attache à des événements totalement différents ou réécrit des scènes soit en ne changeant que de petits détails, soit en les métamorphosant totalement, révélant le pouvoir hautement traitre et subjectif de la mémoire (les films sont racontés en flash-backs). Marie-José Nat et Jacques Charrier proposent également deux versions très différentes de leurs personnages.

Ainsi au-delà de sa vision sociétale, ce diptyque tient de la véritable expérience cinématographique qui joue avec le pouvoir de la narration et se joue de la crédulité des spectateurs. Si la mise en scène reste certes très académique, Cayatte prouve à la Nouvelle Vague que le « cinéma de papa » sait aussi innover et explorer les possibilités du septième art.


Festival Lumière 2022