KICKING AND SCREAMING
Après l’obtention de son diplôme, Jane annonce à son copain Grover qu’elle part étudier l’écriture à Prague. Plutôt que de l’accompagner, Grover décide d’emménager avec une bande de copains qui, comme lui, restent coincés à la fac. Aucun d’eux n’a envie de prendre une décision importante qui pourrait changer sa vie, et en même temps, aucun n’a le désir de finir comme Chet, étudiant professionnel qui tient un bar tout en poursuivant sa trentième année à la fac.
Critique du film
Avant de raconter la famille et le couple, Noah Baumbach a débuté sa carrière en 1995 avec un film de potes. Concomitance parfaite entre la naissance d’un cinéaste et le sujet d’un premier long-métrage : son entrée en réalisation coïncide avec le passage à l’âge adulte vécu par ses personnages en transition, que l’on suit durant une année après la fin de leurs études. Kicking and Screaming (littéralement « donner des coups de pied et crier ») situe entièrement son récit dans cet entre-deux qui n’a pas de nom, où l’on a quitté les études sans être intégré à la vie active. Un état d’éternel étudiant qui n’en a plus le statut, et retarde l’arrivée de l’être responsable qui sommeille en soi.
En cette soirée de remise des diplômes, Grover apprend de sa copine Jane qu’elle part à Prague. Autant dire au bout du monde, d’autant plus que l’indicatif téléphonique sera très long à composer. Max et Otis ne sont pas davantage prêts à ce qui les attend, sans trop savoir d’ailleurs ce qui pourra bien les attendre. Tous les trois lancent des hypothèses avec un certain laconisme, et emménagent ensemble en attendant que le temps passe. Etudiants cultivés aux aspirations similaires, leur complicité rebondit comme la boule du flipper auquel ils ne jouent pas, préférant les quiz cinéphiles et les clubs de lecture. Le film est chapitré par des points de repères temporels qui sont ceux d’une année universitaire (premier semestre, examens de fin d’année), alors que ce n’est plus elle qui est censée régir leur vie. Ils l’ont encore en eux, signe d’un mouvement en surplace assez réconfortant. Remplis d’habitudes, ils préfèrent aux actes l’exercice de la pensée, ce que le film prend lui-même pour principe.
« While we’re young »
Parsemée de petits détails très vrais et décalés autour de la cohabitation quotidienne, la peinture fine des relations amicales se mêle à un sentiment que seule la fiction est capable de nourrir. Elle dévoile un charme des rencontres très singulier. « C’est un bel auvent », dit Max, ce à quoi répond Kate avec qui il a passé la soirée : « Auvent ? Ah, toi aussi tu fais des mots croisés ! » avant de s’embrasser quelques minutes plus tard, comme s’il avait fallu attendre la confirmation d’une telle connivence devenue, grâce à eux, tout à fait probable.
Noah Baumbach s’offre le micro-rôle d’un post-adolescent attardé adepte des dilemme stupides (« Tu préférerais baiser une vache ou perdre ta mère ? »), qui se gausse de celui qui a eu le bêtise de lui répondre. Il est le contre-point de la voix de Jane, la petite amie partie qui réapparaît par flashback et assure qu’il n’y a pas de mal à discuter de ce qui est important. L’écriture repose sur cette dialectique entre futilité et choses sérieuses, avec un ensemble de traits comiques qui dépassent l’état de mots d’auteur.
Comme dans tout film focalisé sur une bande d’amis – on pourrait même le rattacher au sous-genre du film de coloc – la distribution est cruciale, à la recherche de l’alchimie collective. Elle tient ici d’une clairvoyance à départager entre la brillance de la direction d’acteur et le talent des interprètes. Non content de faire le portrait d’une génération, le film appartient à sa propre génération de cinéma. La présence de deux comédiens en témoigne : Parker Posey, née devant la caméra de Richard Linklater dans Dazed and Confused (1993), et Chris Eigeman, découvert dans le premier film de Whit Stillman Metropolitan (1990). Deux acteurs dont la présence chez Noah Baumbach assure une filiation avec ces deux productions indépendantes américaines, interrogeant la vingtaine et le groupe avec une joyeuse insouciance pour le premier, un dandysme à l’écart des problèmes du présent pour le second. Kicking and Screaming se trouve à la croisée de ces chemins, indémodable comédie d’esprit surgie au milieu des années 90.