TROIS NOISETTES POUR CENDRILLON
Ses joues sont couvertes de suie, mais ce n’est pas un ramoneur…
Parmi toutes ces petites choses autour desquelles on se retrouve et qui, mises bout à bout, donnent vie à ce que l’on appelle communément la magie de Noël, il en est une bien particulière qui s’invite chaque année sur de nombreux écrans européens. A la manière des plus beaux enchantements, sitôt que se font entendre les trois premières notes de sa musique reconnaissable entre toutes, petits et grands sont appelés à suivre encore et encore l’aventure merveilleuse, hors du temps et enneigée de la petite “Petits morceaux de cendres” – plus connue chez nous sous le nom de Cendrillon.
Tři oříšky pro Popelku est l’adaptation pour grand écran du conte éponyme de Božena Němcová. Écrivaine influente de la Renaissance tchèque, celle qui fut autant l’une des plus grandes collectrices de folklore européen de son temps que l’un des esprits les plus en avance sur son époque, refusait de se plier aux convenances et à la morale propre au XIXe siècle – insufflant dans chacun de ses récits un goût de liberté et de franchise la poussant à réinterpréter légendes et histoires populaires selon ses idéaux. Ainsi, si Trois noisettes pour Cendrillon reprend les grandes lignes de la fable bien connue, la magie qui l’en imprègne n’est pas tant celle qui s’échappe de la baguette d’une marraine la bonne fée, mais de la conjugaison entre la force de caractère de son héroïne et de sa profonde connexion avec la nature qui l’entoure.
Ainsi, dès ses premiers plans, Trois noisettes pour Cendrillon signe un contrat tacite avec son spectateur : celui d’oublier tout ce que celui-ci connait ou croit connaître de la célèbre pantoufle de verre échouée au pied d’un escalier de bal. Dans la grande tradition des films de de contes de fées, Václav Vorlíček nous offre avec sa Popelku une oeuvre sublime et intemporelle, portée par la merveilleuse Libuše Šafránková qui, à jamais, incarne et transcende le personnage de Cendrillon.
Figurant parmi les premières évocations de princesses auxquelles nous sommes confrontés, difficile pourtant de considérer la figure de l’orpheline maltraitée par sa belle-mère trouvant l’amour un soir de bal comme l’une des représentations féminines les plus mélioratives. En 1981, Colette Dowling théorisait déjà sur le fameux Complexe de Cendrillon, exposant le lien de dépendance intériorisée de beaucoup de femmes poussées vers un idéal de protection. Induit par la représentation simpliste du fameux coup de foudre, la version de Božena Němcová apporte a contrario une représentation beaucoup plus saine que le film met merveilleusement en scène.
Outre que Cendrillon et son prince se rencontrent et interagissent activement plusieurs fois tout le long du récit, le personnage en lui-même existe bien au delà de son histoire d’amour. Intrépide et au caractère bien trempé, Popelku n’a pas sa langue dans sa poche et ses répliques, souvent teintées de sarcasme, de même que son esprit vif et inventif, en font un personnage complet et immédiatement attachant. De même, c’est de sa grande connexion avec la nature et tous les êtres qui l’entourent – animaux compris – qu’elle tire son aura féérique.
…SON CHAPEAU SE PARRE DE PLUMES, SON ÉPAULE EST GARNIE D’UNE ARBALÈTE, MAIS CE N’EST PAS UN CHASSEUR…
Pour incarner Popelku, Vorlíček aura jeté son dévolu sur la toute jeune Libuše Šafránková, alors fraichement diplômée de l’école de comédie. De ces actrices qui savent faire passer mille et une émotions à travers un simple regard, aussi gracieuse que juste dans son jeu – y compris dans les moments de silence où elle se révèle le plus touchante, Šafránková est Cendrillon. Son émerveillement face aux trois noisettes qui lui permettent de se présenter à son prince en trois façons différentes est le notre, campant chacune de ses personnalités avec une sincérité si désarmante que le spectateur n’a d’autre choix que de tomber lui aussi sous son charme.
Outre son personnage principal, Trois noisettes pour Cendrillon doit son succès à ses merveilleux décors et costumes. Si les scènes d’intérieur ont été principalement tournées dans les mythiques studios de Babelsberg, la coulisse la plus connue du film reste le château de Moritzburg aux abords de Dresde.
Somptueuse résidence bâtie dans le plus beau style haut baroque, il accueille évidemment la scène de bal du dernier tiers du film, mais également plusieurs autres scènes destinées à développer davantage les dynamiques de la famille royale. Choisis pour leurs carrières respectives sur les planches allemandes, les acteurs Rolf Hoppe et Karin Lesch campent un couple royal sincèrement préoccupés par leur fils héritier du trône préférant passer ses journées dans la forêt à taller chasser. Le film réussit là encore le pari de coupler les éléments du contes classiques à une multitude des thèmes comme l’éducation et l’autorité parentale, insufflant bien d’avantage d’épaisseur à ses personnages et à leurs trajectoires tout au long du récit.
… SA ROBE ET SA TRAINE SONT BRODÉES D’ARGENT, MAIS CE N’EST PAS UNE PRINCESSE
Autre grand personnage à part entier du film, la nature est omniprésente. Théâtre des rencontres des personnages dans leur forme la plus libre, tant à l’abri des relents d’étiquette et de classe, il est également la source des éléments fantastiques qui émaillent le récit. La neige qui la tapisse est autant un symbole de pureté que de neutralité, accueillant ses protagonistes pour les faire interagir entre eux sans artifices et tels qu’ils sont.
Bien que traversé d’éléments fantastiques, le récit est une formidable métaphore du destin provoqué. Si Cendrillon et le prince forment un couple à la fin de l’histoire, c’est au sens le plus pur du terme : deux êtres égaux et complémentaires, chevauchant le long du chemin de la vie côte à côte sans aucun esprit de hiérarchie. Popelku, durant tout le récit, est maîtresse de sa trajectoire, décide de ce qu’elle veut montrer au monde et à celui qu’elle aime, et n’hésite pas à le mettre à l’épreuve pour s’assurer non seulement de la sincérité de ses sentiments, mais plus encore de sa capacité à l’aimer pour qui elle est.
A la différence de nombreux contes, la scène finale n’est pas une scène de mariage traditionnelle. Trois noisettes pour Cendrillon ne se termine ni dans une chapelle aux cloches retentissantes, ni dans un beau château au pied duquel le nouveau couple royal salue son peuple l’acclamant. S’étant enfin retrouvés, Popelku et son prince chevauchent côte à côte vers un horizon qui leur appartient. A l’image de tout le film, ce final transmet au spectateur son dernier message, et sans doute le plus important : le bonheur est celui qui se trouve là on l’on se reconnait en l’autre, et non simplement où l’on se voit.