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SAUL BASS : AUTOPSIE DU DESIGN CINÉMATOGRAPHIQUE

Graphiste emblématique et réalisateur oscarisé, Saul Bass (1920-1996) a défini une ère novatrice du cinéma. Ses séquences de générique pour des films tels que Anatomie d’un meurtre (1959) d’Otto Preminger, Vertigo (1958) et La Mort aux trousses (1959) d’Alfred Hitchcock, ont introduit l’idée qu’elles pouvaient raconter une histoire, en installant dès les premières secondes l’ambiance du film. Premier ouvrage en français à se pencher sur la vie et l’œuvre de cet artiste fascinant, ce livre signé par Jan-Christopher Horak explore la carrière révolutionnaire du designer-cinéaste et son impact durable sur les industries du divertissement et de la publicité.

CRITIQUE DU LIVRE

Saul Bass, autopsie du design cinématographique vient enfin combler un manque. Il est le fruit du travail d’un historien du cinéma germano-américain, Jan-Christopher Horak, que la passion pour le graphiste a conduit à rédiger cette somme imposante de presque 500 pages (traduite en français en 2022). Cet ouvrage très complet est découpé en sept chapitres et permet d’aborder les différentes facettes d’une personnalité complexe.

Figure majeure du graphisme publicitaire, créateur de génériques, d’affiches de films mais aussi réalisateur oscarisé, Saul Bass a révolutionné la façon dont un film marque l’esprit du spectateur dès son ouverture. Ce natif du Bronx a travaillé, tout au long d’une carrière de plus de quarante ans, avec les plus grands réalisateurs : Otto Preminger, Alfred Hitchcock, Billy Wilder, Stanley Kubrick, Martin Scorsese…

Saul bass génériques

Des génériques réinventés

Avant Bass, le générique de début était considéré comme ennuyeux. Souvent, les salles laissaient même le rideau fermé pendant qu’il était projeté. Mais l’approche révolutionnaire du graphiste a changé la donne. C’est son générique dessiné pour L’Homme au bras d’or de Preminger (1955) qui marque une rupture, avec ses lignes blanches découpées sur fond noir et surtout cette main et ce bras stylisés qui seront repris sur l’affiche. À l’époque, on montrait plutôt les visages des comédiens en gros plans pour attirer l’attention du public. Sur cette affiche, ils sont présents mais inclus dans une composition minimaliste. Ce travail fait connaître Bass dans l’industrie, et le voilà très vite sollicité par les plus grands noms. Il travaille sur de nombreux films de grands cinéastes, les plus connus étant Vertigo (1958), La Mort aux trousses (1959), Psychose (1960), et bien entendu Spartacus (1960), et plus près de nous Le Temps de l’innocence (1993) ou encore Casino (1995). En effet, le travail de Bass – et de sa femme Elaine avec laquelle il collaborait depuis 1955  – a été redécouvert par une nouvelle génération de cinéastes et cinéphiles ayant grandi avec ces films.

L’auteur passe en revue le travail de Bass à Hollywood, en s’attardant notamment sur sa contribution à la fameuse scène de la douche de Psychose, qu’il a prétendu à une époque avoir réalisée, et pour laquelle il avait préparé un story-board détaillé (comme ce fut le cas pour des séquences de Spartacus et West Side Story). Depuis ses humbles débuts d’artiste autodidacte jusqu’à son apogée professionnelle, l’ouvrage retrace la carrière de l’artiste et explique également comment il a intégré dans son travail des concepts esthétiques empruntés à l’art moderne (Bauhaus, constructivisme russe), en les présentant d’une manière nouvelle qui les rendait facilement reconnaissables par le public. À la tête d’une agence de graphisme, il a aussi produit de nombreux logos pour des grandes marques. Bass a fait basculer la publicité dans l’art, tirant pleinement profit de sa formation et de ses connaissances.

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Influence

Nombre de graphistes suivront son exemple. Son art du générique, caractérisé par cette capacité étonnante à capter l’essence d’un film en quelques minutes, sera largement copié et décliné, notamment dans Mad Men et Arrête-moi si tu peux (2002). Bass était un artiste complet, et s’il aimait travailler pour les autres, il a aussi réalisé des courts métrages, dont un ayant remporté un Oscar (Why man creates, 1968), ainsi qu’un unique long métrage de fiction, l’hallucinant Phase IV (1974), tous réunis dans un beau coffret récemment réédité par Carlotta. 

Bass a créé une brèche de modernité artistique dans un art fondamentalement commercial. En cela, son apport a été décisif. Comme l’explique Horak : « La sensibilité du grand art de Bass dans toutes ses œuvres pour les studios américains mérite l’attention, particulièrement parce que sa stratégie pour élever la valeur esthétique de la production servait à la différentiation du produit sur le marché qui était devenue une nécessité depuis que le décret Paramount avait mis fin au contrôle des studios sur leurs salles de cinéma. En fait, la carrière de Bass ne peut être comprise que dans le cadre de l’éclatement du vieux système des studios hollywoodiens, qui fut finalement remplacé par un système d’artistes free-lance sous contrat. Bass, en tant qu’outsider, était à l’avant-garde de ce développement. »

En définitive, même s’il ne contient que peu d’images, Saul Bass, autopsie du design cinématographique est un excellent complément à l’ouvrage de référence abondamment illustré Saul Bass, A life in film & design, publié en 2011. Notons également un autre volume consacré spécifiquement à Phase IV : Saul Bass, cinéma et écologie.


OUVRAGE ÉDITÉ AUX PRESSES DU RÉEL, 466 PAGES, 34€


Pour aller plus loin : 

Saul Bass: The Art Of The Title Sequence

Les Génériques de Saul et Elaine Bass – Blow Up – ARTE