LA RUMEUR
Martha et Karen dirigent ensemble un établissement privé pour jeunes filles. Sages et bien élevées, elles forment une joyeuse sororité, jusqu’à ce que l’une d’entre elles, affectée par une punition jugée ingrate, décide de répandre une rumeur qui va faire s’effondrer la réputation de l’école : les deux directrices entretiendraient une relation d’ordre illicite.
Critique du film
Dans le cinéma de Wyler, les femmes sont filmées sous un angle plutôt classique, dans un style académique. Arrivé tardivement dans une filmographie éclectique et un penchant de son réalisateur pour le grand spectacle, La rumeur ressemble au pied dans la porte, au post-it du cinéaste sur le mur, au post-scriptum d’une œuvre colorée et divertissante. À l’heure où la masculinité bat son plein sur les affiches, le Code Hays succombe peu à peu à l’émancipation des années soixante, ce qui n’est pas pour déplaire à la plupart des cinéastes adeptes de liberté qui s’empressent de jouer avec les codes de genre, comme le fait habilement Billy Wilder avec le travestissement (Certains l’aiment chaud, 1959).
Il est bien connu que la qualité du casting assure au film une certaine visibilité, et Wyler compte bien ainsi remettre au goût du jour son propre remake de l’adaptation d’une pièce de théâtre écrite par Lillian Hellman, elle-même inspirée par une affaire similaire datant du XIXème siècle en Ecosse, où deux institutrices s’étaient vues accusées de saphisme par une élève mal intentionnée. Difficile de ne pas voir une muse en la personne d’Audrey Hepburn, lorsqu’elle est libre d’exprimer par un simple regard le panel des sentiments pouvant traverser un être en l’espace d’une demi-seconde. Connue du public pour sa balade à la guitare sur un bord de fenêtre dans Diamants sur canapé ou sa candeur de jeune fille dans Drôle de frimousse, elle est cependant moins admirée alors pour ses qualités de jeu mature et polymorphe. C’est précisément ce qui va la charmer dans la noirceur du scénario de La rumeur, où elle tient la vedette avec Shirley MacLaine, qui vient de voir son précédent film remporter cinq Oscars (La garçonnière, Billy Wilder).
BONNES MŒURS vs JUGEMENT DERNIER
Les deux amies, rarement mises au même plan à l’image comme dans un jeu visuel de distanciation, sont loin de s’imaginer la puissance de la parole irréfléchie de leur jeune pensionnaire indocile et vengeresse (Veronica Cartwright,) associée à sa grand-mère, la sournoise Amelia Tilford. Ironiquement dans le film, ceux qui portent un intérêt à l’orientation sexuelle des autres sont les mêmes qui prônent l’amour universel par la prière et la foi chrétienne.
Wyler définit lui-même son film comme une étude de mœurs tout en nuances, ne cherchant pas à faire violence à une bourgeoisie réfractaire mais bien plutôt à interroger l’appropriation du désir féminin. Usant de techniques avant-gardistes comme le jump cut, le film s’inscrit dans un Hollywood en pleine mutation à divers niveaux.
CHUCHOTER LE DÉSIR FEMININ
Aujourd’hui quelque peu méconnu, si ce n’est pour nourrir les analyses filmiques d’étudiants en cinéma ou servir le journalisme féministe et engagé, bien qu’ayant été nominé maintes fois aux Oscars de l’époque, La rumeur, invisibilisé à sa sortie par un film abordant l’homosexualité de deux hommes (La victime, Basil Dearden), nous apparaît comme le murmure d’un film engagé qui joue sur l’évocation, amenant une profondeur d’une rare violence et usant d’ironie pour placer le sex symbol masculin au second plan, offrant à voir la rareté d’un James Garner laissé pour compte, frustré et dédaigneux. Avec pudeur, nous suivons l’histoire des deux héroïnes, affranchies des diktats conservateurs qui suintent à travers cette illusion de collectivité féminine libre et indépendante, cette pyjama party encadrée par un ordre patriarcal bien présent et renforcé par la quasi-totalité des personnages secondaires, par ruse vis-à-vis de la distribution, sans doute aucun.