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SIMPLE COMME SYLVAIN

Sophia est professeure de philosophie à Montréal et vit en couple avec Xavier depuis 10 ans. Sylvain est charpentier dans les Laurentides et doit rénover leur maison de campagne. Quand Sophia rencontre Sylvain pour la première fois, c’est le coup de foudre. Les opposés s’attirent, mais cela peut-il durer ?

Critique du film

L’amour est-elle la seule valeur universelle ? La question jaillit à l’issue de la première scène de Simple comme Sylvain, troisième long métrage de Monia Chokri après La femme de mon frère et Babysitter. L’amour, sa nature et son inscription dans le cadre social et sociétal, devient le fil conducteur de cette fausse romcom existentielle d’une grande générosité formelle. Désormais affranchie du scope Dolanesque, sans pour autant renier cet amour pour les belles images et les envolées lyriques, l’actrice-réalisatrice signe ici son meilleur film.

Le spectateur découvre Sophia lors d’un dîner entre amis, où les débats vont bon train. Des sujets culturels et politiques, le film dérive progressivement vers la condition humaine, seul être vivant sur terre à détruire son habitat pour s’y adapter. Déjà, on remarque que la quadragénaire semble en retrait, plus à l’écoute, tandis que son homme expose son opinion avec un argumentaire rôdé. Sur le chemin du retour, le sentiment qu’elle adapte sa vie aux impératifs de son compagnon se renforce alors qu’il l’informe qu’elle devra recevoir l’ouvrier chargé de superviser les travaux du grand chalet que le couple vient d’acquérir. Une décision bien mal avisée puisque la rencontre entre Sophia et Sylvain, le charpentier en question, va changer le cours de son existence. Sans qu’il ne soit prémédité, un rapprochement s’opère. L’alchimie est évidente, le feeling naturel. La journée se prolonge dans un pub et leur désir, à son apogée, finit par se libérer.

Cette aventure adultère vire en passion fougueuse et charnelle. Un amour irrationnel, incontrôlable. Sophia est bouleversée par l’approche franche de Sylvain, qui représente l’antithèse même de l’homme qui partage sa vie depuis dix ans. Quand son conjoint ne manque pas une occasion d’afficher son érudition, Sylvain assume son franc-parler et sa condition modeste. Pas de longs discours, que de la spontanéité – parfois déroutante. Il la désire et s’étonne de l’intensité de son affection croissante. Bientôt, il lui déclare même sa flamme, alors que Sophie s’efforce de réprimer ses pulsions, contrainte par la pression sociale et la culpabilité.

Simple comme Sylvain

Ces choses qu’on dit, ces choses qu’on fait

Engluée dans cette relation platonique qui ne l’épanouit plus, elle a le courage de quitter son compagnon pour vivre cette histoire qui la fait vibrer. Mieux vaut-il suivre son désir et concrétiser le fantasme d’une vie faite de passion et de charnel ? Sophia préfère le remord au regret et emprunte donc le chemin le plus inconfortable, n’hésitant pas à refaire sa vie malgré l’estime et l’affection que portaient sa famille et ses amis à son homme.

Conservant son incroyable tempo comique, qui atteint ici des sommets d’hilarité grâce à la force de ses dialogues et la qualité de sa direction d’acteurs, Monia Chokri poursuit brillamment son exploration du désordre sentimental. À la manière d’un Emmanuel Mouret qui aime se jouer des errances de ses personnages sans jamais les juger, la québécoise manie habilement sa quête en jonglant entre la théorisation (raconter comment les plus célèbres philosophes ont pensé l’amour) et la réalité pratique,  chapitrant presque le parcours sentimental de son héroïne, incarnée par une Magalie Lépine Blondeau absolument géniale sur tous les registres.

À une époque où le cynisme a supplanté le romantisme et la candeur, la réalisatrice choisit d’exposer sa sensibilité sur pellicule, dans une oeuvre que beaucoup pourraient qualifier de « film de la maturité », ce que ne renierait pas forcément son autrice, bien consciente d’avoir muri dans son rapport au sentiment au carrefour de son existence. Equilibrant merveilleusement la tendresse et la blague, Simple comme Sylvain n’en oublie pas de dépeindre les stéréotypes sociaux, la lutte des classes et les dynamiques de couple avec auto-dérision et malice. Plus qu’une simple récréation ou une bluette romantique, la canadienne nous offre un film d’une énergie contagieuse, aussi tendre que cruel, aussi mélancolique que revigorant.

Bande-annonce

De Monia Chokri, avec Magalie Lépine BlondeauPierre-Yves Cardinal


Cannes 2023Un Certain Regard