LE TEMPS D’AIMER
1947. Sur une plage, Madeleine, serveuse dans un hôtel restaurant, mère d’un petit garçon, fait la connaissance de François, étudiant riche et cultivé. La force d’attraction qui les pousse l’un vers l’autre est à la mesure du secret dont chacun est porteur. Si l’on sait ce que Madeleine veut laisser derrière elle en suivant ce jeune homme, on découvre avec le temps, ce que François tente désespérément de fuir en mêlant le destin de Madeleine au sien…
CRITIQUE DU FILM
Tout juste sortie de la mini-série Le monde de Demain co-réalisée avec Hélier Cisterne, Katell Quillévéré réalise son premier long-métrage depuis Réparer les vivants en 2016. Le temps d’aimer est lancé par des images d’archives à la toute fin de la Seconde Guerre mondiale, des photos de ces femmes tondues et humiliées pour avoir couché avec l’occupant, un traitement inhumain qui a durement marqué le paysage français, notamment pour ces femmes et les enfants qu’elles eurent pendant cette période troublée. Madeleine est l’une d’entre elles, obligée de fuir son village, chassée par son père qui ne voulait pas abriter la honte sous son toit, ni ce petit-fils stigmate des fautes supposées de sa fille. C’est le point de départ d’un vaste mélodrame, qui bien au-delà de la fin des années 1940, va retranscrire toutes les haines et difficultés à vivre dans cette France dite des « Trente Glorieuses », où une large partie de la population ne participe pas vraiment à la reconstruction du pays.
Si Daniel, le fils de Madeleine, est le fruit d’amours fugaces, le centre névralgique de l’histoire est la relation qui se noue entre la jeune mère et François, universitaire refusant de poursuivre l’oeuvre familiale, une usine propriété familiale dans le Nord de la France. Tous deux commencent leur vie à deux dans le plus grand des dénuements, chacun avec un secret qui les contraint, comme ils le disent tous deux dans une scène magnifique, à se servir de l’autre comme d’une couverture. Tout cette première peut se définir par sa retenue, on ne prononce pas les mots, on dissimule beaucoup, la honte prenant le dessus sur l’honnêteté, qui longtemps va se faire petite, attendant son heure pour éclater avec pertes et fracas. La construction de ce couple épouse les contours des grands mouvements présents en France au début des années 1950. François et Madeleine vont se réinventer à Chateauroux, où une base américaine dynamise la vie de cette petite ville, apportant son lot d’opportunités financières.
Il se crée naturellement un trio entre ces personnages bannis par leurs pairs, une affinité naturelle se dessinant entre eux, jusqu’au rejet violent du soldat pris par surprise par cette libération inattendue de ses mœurs jusqu’ici prisonnier des convenances. « Pour qui me prenez vous ? » est sa réaction, l’image publique représentant le brevet de passage obligatoire pour ne pas être poussé vers la sortie, que ce soit la prison ou la mort. Malgré leurs antagonismes le couple résiste au temps et une très belle histoire d’amour s’impose entre eux.
Katell Quillévéré réussit un magnifique mélodrame, genre si difficile à maîtriser, qu’elle exécute à merveille dans son dernier tiers. Ces derniers instants, qui voient la naissance d’un deuxième enfant et Daniel arriver à maturité, ont à la fois un goût de cendres prononcé, mais aussi une grandeur magnifique, les secrets volant enfin en éclat pour dévoiler la beauté des personnages qui n’ont plus à se cacher.
Bande-annonce
29 novembre 2023 – De Katell Quillévéré, avec Anaïs Demoustier, Vincent Lacoste et Paul Beaurepaire.