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YANNICK

En pleine représentation de la pièce « Le Cocu », un très mauvais boulevard, Yannick se lève et interrompt le spectacle pour reprendre la soirée en main…

Critique du film

Il a surgi par surprise. Personne ne s’y attendait. Les choses suivaient leur cours, comme prévu. Pourtant, Yannick est sorti de l’anonymat sans que personne ne comprenne vraiment. Ces assertions seraient valables tant pour ce « film surprise » de Quentin Dupieux (alors que tout monde s’attendait à découvrir Daaaaaali dans les prochaines semaines) que pour son protagoniste éponyme, porté brillamment par Raphaël Quenard, qui bouleverse soudainement une troupe d’acteurs en pleine représentation théâtrale.

Qui aurait pu prévoir ?

Alors qu’un vaudeville médiocre surjoué et insipide se tient dans une salle parisienne clairsemée, déroulant sa poussive intrigue d’adultère et de problèmes gastriques, c’en est trop pour Yannick. Ce spectateur lambda se lève et interpelle le trio de comédiens pour verbaliser le sentiment que cette pièce lui inspire : il a du mal à accepter qu’un spectacle censé lui remonter le moral produise sur lui l’effet inverse. L’audience est médusée, les comédiens déroutés par cette intervention. La sidération s’empare de la salle. Le ton finit par monter, après un monologue sur sa condition de spectateur déçu, il est finalement reconduit vers la sortie par l’un des acteurs (Pio Marmaï) passablement agacé. Après quelques railleries à l’endroit de l’individu, comme pour briser la glace et se remettre le public dans la poche, les acteurs tentent de reprendre. Mais Yannick a définitivement besoin d’être entendu ce soir…

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Tourné en six jours et resserré sur une petite heure cinq, Yannick ne manque pas de surprendre. Avec un scénario plus linéaire qu’à l’accoutumée, qui cache en son sein un discours méta sur le rapport entre le public et l’art, à l’heure des plateformes où il est désormais si facile de rejeter une oeuvre par un simple clic sur un pouce vers le bas, ce onzième film de Quentin Dupieux détonne légèrement de ce à quoi le parisien nous avait habitués. Pas de digressions ici, ni de concepts singuliers. Une idée : l’irruption de l’inattendu dans l’exercice artistique. Cette idée, Quentin Dupieux l’exploite merveilleusement soixante-cinq minutes durant, plongeant le spectateur (du film) dans le même embarras que celui des spectateurs à l’écran qui ne savent comment réagir face à cet incident. Eux aussi sont venus se changer les idées, comme Yannick, mais les conventions exigent souvent de garder sa frustration pour soi. Yannick n’en est plus capable. Gardien de nuit, célibataire et orphelin, Yannick souffre de solitude comme de manque d’amour. Son quotidien, on le devine, avait bien besoin d’un peu de gaité.

Quelle brillante option que d’avoir offert le rôle à Raphaël Quenard (déjà remarquable dans Chien de la casse) qui livre ici une prestation fascinante. Tour à tour hilarant, inquiétant et émouvant, l’acteur en pleine ascension confirme tout le bien que l’on pense de lui et assure (presque) à lui seul le spectacle. Il court-circuite le quotidien et insuffle une part de désespoir, un cri du coeur. Un coeur meurtri qui n’aspire qu’à battre à nouveau, pour exister un peu dans le regard des autres.

Enfermés dans ce huis-clos aussi drôle que dérangeant, où le plus névrosé n’est peut-être pas celui que l’on pense, les spectateurs voient les masques tomber et les rôles s’inverser, un temps, jusqu’à vivre un instant de sublime avant que le réel ne les rattrape, par la force. Alors que l’on craignait que la formule Dupieux ne commence à montrer quelques signes de faiblesse, après quelques films plus frustrants (Fumer fait tousser, Mandibules) qu’absurdement réjouissants (Le Daim, Incroyable mais vrai), le très prolifique réalisateur prend tout le monde par surprise et dégaine l’un de ses meilleurs films à ce jour.

Bande-annonce

2 août 2023 – De Quentin Dupieux, avec Raphaël QuenardPio MarmaïBlanche Gardin