PRÊTE À TOUT
La jeune et séduisante Suzanne Stone est prête à tout pour réaliser son rêve : devenir une présentatrice vedette à la télévision. Elle a épousé Larry, qui l’aime sincèrement, avant tout pour pouvoir vivre confortablement grâce à la fortune de sa belle-famille. Quand ce dernier émet l’envie d’avoir des enfants, Suzanne décide de se débarrasser de lui. Pour arriver à ses fins, elle séduit un jeune garçon dérangé, Jimmy, et le charge de tuer son époux avec l’aide de deux de ses amis…
Critique du film
Hollywood, milieu années 1990 : Gus Van Sant, après l’échec commercial Even Gowgirls Get The Blues (1993), doit affronter un nouvel échec : sa biographie de l’homme politique homosexuel Harvey Milk, assassiné en 1978, ne verra pas le jour. Faute d’accord sur un scénario entre le cinéaste et Oliver Stone, dont il devait adapter l’œuvre, le projet est abandonné, alors que Robin Williams devait tenir le rôle principal. Columbia arrive à la rescousse du réalisateur et lui propose sa première commande hollywoodienne : une adaptation d’un roman inspiré de faits réels, Prête à tout (To Die For) de Joyce Maynard. Et deux ans avant son film culte Will Hunting, Gus Van Sant connaît son premier gros succès commercial et médiatique.
Comédie noire et critique de la société américaine de l’époque, Prête à tout doit beaucoup à Nicole Kidman, parfaite en Suzanne Stone, jeune femme dépassée par son ambition et hermétique à toute capacité de discernement. « Miss météo » prisonnière d’un mariage qu’elle ne souhaitait pas vraiment, principalement effectué comme la société américaine l’imposait, Suzanne se laisse guider par son obsession de passer à la télévision, lui ôtant son libre-arbitre. « À quoi bon faire quelque chose d’important si personne nous regarde ? », répète Suzanne comme un mantra qui la mènera à a perte. Son mariage avec le fils d’immigrés italiens propriétaires d’un restaurant, Larry Maretto (Matt Dillon), vire au drame. Engagés dans une relation qu’ils ne contrôlent plus, les jeunes adultes ont des ambitions bien différentes : l’une veut faire le tour du monde en tant que reporter, l’autre préfère avoir des enfants et reprendre l’affaire de ses parents, dans la petite ville de Little Hope, New Hampshire.
Et Little Hope, derrière ses airs de ville paisible et bien rangée, cache de cruelles vérités qu’elle n’ose s’avouer, comme l’intégralité d’un pays encore obnubilé par l’American Dream. Lorsque Larry Maretto est trouvé mort chez lui, un événement dévoilé dès les premières secondes du film, sa famille part perdante : impossible pour eux d’espérer rétablir la vérité face à Suzanne Stone, jeune femme américaine faisant tourner les têtes de tous les hommes de Little Hope. Les adolescents Jimmy (Joaquin Phoenix), Russel (Casey Affleck) et Lydia (Alison Folland) n’ont aucun rêve, aucune perspective d’avenir. Quant à Suzanne, elle doit se plier aux attentes des hommes pour espérer pratiquer le métier de ses rêves. Prête à tout, annonçait le titre : à tuer, à assouvir les pulsions sexuelles de cinquantenaires, à manipuler des adolescents qui, eux aussi, sont prêts à tout pour s’offrir quelques minutes sous les feux des projecteurs.
They had a dream
Gus Van Sant va faire de ces rêves inachevés le cœur de l’œuvre, optant pour une réalisation crue, minimaliste et peu inventive. Proche d’une mise en scène de documentaire, Prête à tout mise sur la plausibilité de son récit. Le cinéaste assène de tristes vérités sur son pays, rendant les multiples entretiens des protagonistes particulièrement impersonnels, comme si leurs aventures ne comptaient pas. Plans fixes sur fonds incolores, ils revivent les événements qui les ont menés jusqu’ici. Leurs vies ont été drastiquement changées, souillées, mais justice ne leur sera jamais rendue par l’Etat. Comme les vies de ces personnages, le rythme du long-métrage ne nous laisse pas respirer. Les péripéties s’enchaînent et personne n’a le temps de penser à soi : ni Suzanne, ni son mari, ni ces adolescents délaissés par la société. Gus Van Sant oblige, la bande-son sert magnifiquement le rythme effréné de Prête à tout, de Donovan à Lynyrd Skynyrd en passant par une ridicule séquence d’enterrement pendant laquelle All By Myself force le rire du spectateur.
Tous ces membres de la classe moyenne sont embarqués dans le tourbillon de l’immédiateté. Ce besoin de reconnaissance maladif les détourne du droit chemin, les entraînant dans une succession d’actions incontrôlées. L’hymne américain retentit au moment du meurtre, énième moyen pour le cinéaste d’exprimer son dégout de cette société déifiant toute représentation télévisée. Gus Van Sant démystifie cette Amérique des années 1990, de sa vision perverse du corps de la femme au traitement qu’elle réserve aux plus pauvres et aux immigrés. Finalement, c’est un réalisateur bien connu qui va venir en aide aux parents de Larry Maretto, assassinant le coupable de la mort de leur fils. Apparition presque divine, justice dont la classe moyenne a été privée, ce cinéaste incarne l’industrie hollywoodienne qui propulsera Gus Van Sant dans les années qui suivront.