L’AMOUR FOU
Critique du film
Tourné en 5 semaines à l’été 1967, le film culte de Jacques Rivette ressort en salle miraculeusement restauré (travail supervisé par Caroline Champetier) après que le négatif 35mm a brûlé en 1973. Le théâtre en train de se faire et le couple se défaire, la jalousie et la manipulation, plus de 4h avec Claire, Sébastien, Andromaque et la vie bric-à-brac, L’Amour fou est un fleuve où le couple ne se noie jamais deux fois dans la même tourbillon.
Souffrir n’est pas jouer
Un grand rectangle blanc en guise de scène à apprivoiser et un petit appartement où jouer les aventuriers de l’amour. Deux pôles reliés par des appels au secours. Claire renonce au premier et se réfugie dans le second. Sébastien avance à tâtons entre les deux. Il met en scène Andromaque, partie du film vue essentiellement à travers la caméra d’une équipe de télévision. Le reportage à l’œuvre donne de l’épaisseur au quotidien des répétitions qui semblent s’étirer dans le temps sans échéance de représentation. Sébastien et les comédiens répondent aux questions du réalisateur de télévision interprété par André S. Labarthe. Cette discussion est un des vecteurs par lesquels nous comprenons les étapes du théâtre qui se fabrique.
Le couple que forment Claire et Sébastien est lui aussi en chantier. Au pied levé, c’est Marta, l’ex femme de Sébastien qui a remplacé Claire. Désœuvrée, celle-ci ne supporte pas cette idée et cède peu à peu aux démons de la jalousie. Instabilité et enfermement sont symbolisés à travers de petits objets, une figurine de Culbuto et des poupées russes que Claire ouvre dans une vaine tentative d’introspection. L’autre objet au centre du film, c’est le miroir.
En trois scènes, il est le témoin et le révélateur de ce qui va ou ne va pas. S’y reflètent tout à tout Claire et Sébastien, puis Marta et Sébastien comme un écho infidèle et finalement Sébastien seul, face à son destin.
Bulle Ogier et Jean-Pierre Kalfon interprètent Claire et Sébastien, tous les deux sont de magnifiques funambules, portant leurs personnages au-dessus d’un gouffre que le film ne cesse de creuser à mesure qu’il décrit à la fois l’insupportable distance et l’impossible calque entre la vie et le théâtre, entre deux êtres.
C’est précisément lorsque l’appartement devient le théâtre des épisodes de réconciliations et ruptures que le film rejoint son sommet tragi-comique. Une première séquence de lacération, sidérante et épuisante avant une libération totale, une demi-heure hallucinante au cours de laquelle Claire et Sébastien enterrent la hache de guerre et transforment le logis en terrains de jeu et d’aventure : une grotte préhistorique, une plaine de l’ouest, un camp retranché. Quelque chose se joue d’une liberté grande, celle qui fait abstraction du quotidien, celle qui n’a plus rien à perdre.
Au théâtre, on répète puis on joue.
En amour on joue puis on ressasse.
« La douleur qui se tait n’en est que plus funeste »
L’amour fou est en salle, ne soyons pas en reste.
Bande-annonce
13 septembre 2023 (ressortie) – De Jacques Rivette, avec Bulle Augier, Jean-Pierre Kalfon et André S. Labarthe.