MAD FATE
Alors qu’un tueur rôde, un diseur de bonne aventure pataud croise la route d’un jeune homme fasciné par le meurtre, dont il aimerait changer le destin avant qu’il ne passe à l’acte.
Critique du film
Est-ce qu’on peut modifier la trajectoire du destin ? C’est en tous cas ce que s’échine à faire The Master, un diseur de bonne aventure Hongkongais qui tente de transformer le karma de ses clients condamnés par le sort. Après sa rencontre avec Siu-tung, un jeune homme dérangé et hanté par un désir profond de commettre un crime, il va tout mettre en œuvre pour lui éviter de passer à l’acte et de finir alors en prison. En parallèle, un tueur en série sévit dans le même quartier et trucide les prostituées dès qu’il pleut. Le savant fou et le psychopathe vont chacun l’utiliser pour arriver à leurs buts.
Vaste programme, donc, que nous concocte Soi Cheang quelques mois seulement après le succès en salles de son Limbo qui fut justement présenté à l’Étrange Festival il y a deux ans. Dès les premières images, Mad Fate nous entraîne dans un monde survolté, avec un rythme délirant qui ne faiblira pas. C’est est une œuvre ample, dense, parfois éreintante tant elle fourmille d’idées, de plans et de revirements de situation. C’est aussi un film qui porte bien son nom car, en plus d’évoquer le destin, il est ici essentiellement question de folies.
À juste titre, on y voit toute une galerie de protagonistes chacuns atteint d’une sorte de démence qui leur est propre et qui scellera leur destin. Entre des croyances matérialisées par diverses breloques, des pulsions aussi inassouvies qu’inextinguibles, des obsessions de justice et des meurtres sadiques, Mad Fate nous mène des cimetières aux quartiers chauds de cette ville-monde à travers la psyché de ses personnages.
Un soin particulier est apporté à la photo, opérée par Siu-Keung Cheng, dont le rendu évolue au gré de la progression de l’histoire. Ainsi, on entre dans le film au milieu d’une atmosphère chaude et colorée qui use des néons vert et rose, puis, au fur et à mesure que les héros s’embourbent dans leur expériences, l’image s’assèche pour devenir froide et légèrement désaturée. Ce procédé qui réussit à véhiculer le désespoir torturant nos héros est aussi une manière de faire basculer le film dans une autre dimension. On passe en effet d’une ambiance joyeusement foutraque à quelque chose de plus sombre, comme si l’on entrait dans les âmes malades de personnes qui ne trouvent pas d’issues à leurs tourments.
Visuellement, la première partie rappelle le cinéma de Johnnie To et en particulier son film Judo, ce qui n’est peut-être pas un hasard quand on sait que le célèbre réalisateur officie en tant que producteur sur le film de son disciple. Découvert en France 2009 avec son sidérant Accident, Soi Cheang est donc bien parti pour reprendre le flambeau du thriller Hongkongais, devenu un genre à lui tout seul, et dont il semble habilement jouer avec des codes qu’il s’est parfaitement approprié.