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LE GANG DES BOIS DU TEMPLE

 

Un militaire à la retraite vit dans le quartier populaire des Bois du Temple. Au moment où il enterre sa mère, son voisin Bébé, qui appartient à un groupe de gangsters de la cité, s’apprête à braquer le convoi d’un richissime prince arabe…

Critique du film

21 ans après Wesh wesh, qu’est-ce qui se passe ?, Rabah Ameur-Zaïmeche revient poser sa caméra en banlieue. Le Gang des Bois du Temple prolonge une filmographie d’une rare cohérence, toujours animée par un feu intérieur mais de plus en plus dominée par une noirceur qui se développe à la lisière des genres. La triste beauté qui se dégage du film est celle d’un requiem.

Description d’une dégringolade

Un lent mouvement panoramique balaye un paysage urbain où les strates historiques se côtoient sous un même ciel. À bonne distance du centre, dans les cités périphériques, reste la rumeur de la ville, bande originale des vies anonymes. La ville est tranquille dirait Robert Guédiguian. Cette ouverture contemplative, bientôt déchirée par la sirène d’une ambulance, annonce la vaine quête d’un signe de répit. Figure maternelle de la cité, Mme Pons vient de quitter ce monde avant de devenir octogénaire. Le spectateur ne le sait pas encore mais Rabah Ameur-Zaïmeche vient de retirer un mur porteur de l’environnement dans lequel il a plongé ses personnages, dont il ne reste plus qu’à décrire la dégringolade.

gang des bois du temps

C’est sans doute la marque d’un auteur que de ne pouvoir être associé qu’à une seule case, celle, singulière, que constitue sa filmographie. Son huitième long métrage n’échappe pas à la règle. Le Gang des Bois du Temple flirte avec le film de braquage, le film de banlieue, la fable et la tragédie sans se laisser réduire à aucun stéréotype d’aucun genre. Bébé, Mouss, Melka, Nass et Dari préparent un coup. Ces cinq-là sont liés comme les doigts de la main que l’un d’entre eux a perdu. La petite bande est devenue gang avec bandit manchot. Des mots désuets qui renvoient aux polars des années 70.

Si les silences et la sobriété de la mise en scène renvoient à Jean-Pierre Melville, cette bande de lascars ferait plutôt penser au Claude Sautet de Max et les ferrailleurs dans sa manière de décrire l’illusion de l’envergure. La référence sonne aussi comme un signe avant-coureur de l’implacable ordre des choses. Sous la casquette de l’un, le bob de l’autre, le bonnet d’un troisième, les rêves se sont probablement cognés au principe de réalité. Une très belle scène de bistrot rappelle encore le cinéma de Claude Sautet dans sa capacité à saisir les humeurs entrelacées. On retrouve le groupe de copains encore portés par l’adrénaline du braquage à laquelle s’ajoute le soulagement de sa réussite. On commente avec une maladroite insistance le braquage d’un prince arabe relaté dans le journal. On apprend aussi, incidemment, que Monsieur Pons est un ancien tireur d’élite habitué à bourlinguer sur les théâtres d’opération militaire.

LE GANG DES BOIS DU TEMPLE

Fraternité blessée

Le film abandonne volontiers toute forme de tension au profit d’abruptes ruptures de ton. Ainsi après une séquence de palabre où trois des cinq loustics partagent leurs projets de « nouveaux riches » tout en nourrissant les pigeons de la cité, le film bascule en refermant violemment la parenthèse d’appétit. Alors que le prince s’autorise un bain de foule nocturne et une transe endiablée, il ne nous reste plus qu’à regarder les hommes tomber. Le film établit peu à peu un troublant jeu de miroir avec Histoire de Judas, la libre évocation des derniers jours du Christ tournée par RAZ en 2015. Régis Laroche y interprétait Ponce Pilate, celui qui innocente Barabbas et condamne Jésus. Barrabas qui prenait vie sous les traits de Mohamed Aroussi (par ailleurs décorateur attitré de RAZ) qui incarne ici le prince arabe. Comment échapper à la sempiternelle tragédie du monde, semble être la question qui fascine aujourd’hui le cinéaste, monde où les miséricordieux deviennent bourreaux. Il nous faut ici évoquer Jim, un personnage secret qui apporte au prince l’identité de ses agresseurs. Jim est chargé de remettre la main sur des documents sensibles comme Judas avait pour mission de détruire les parchemins que lesquels un scribe retranscrivait les prêches de Jésus.

Le sentiment du tragique était déjà contenu dans la voix d’Annkrist, au début du film, lors des funérailles de Madame Pons. La beauté du jour, chant d’une ampleur et d’une beauté renversantes, ne nous avait-il pas livrer, sinon les clefs, à tout le moins les feux de détresse du film ?

« Le temps suspend la fragrance d’un parfum très rare
quelque archange en vacance soupire quelque part »

On n’a rien entendu de plus beau au cinéma depuis Manset chez Carax et Christophe chez Dumont.

La guerre que ne cesse de filmer Rabah Ameur-Zaïmeche n’a pas vraiment de nom et semble prendre racine à l’aube de l’humanité. Avec un peu d’emphase on pourrait l’appeler fraternité blessée ou tout autre nom qui nous renvoie à notre propre innocence, quand donner à manger à des pigeons idiots suffisait à notre bonheur. Et leur donner des coups de pieds pour de faux, parce que les méchants, c’est pas nous.

Bande-annonce

6 septembre 2023 – De Rabah Ameur-Zaïmeche
avec Régis Laroche, Philippe Petit et Marie Loustalot