PRIPYAT
Juste à côté de Tchernobyl subsiste ce qu’on appelle la Zone. Comprendre, la zone d’exclusion autour de la centrale nucléaire, un périmètre sinistré par la catastrophe nucléaire survenue en 1986. Au cœur de cet espace se trouve Pripyat. Siégeant à seulement 2,5 km de la centrale, c’est la ville qui a été la plus touchée. Douze ans après les événements, le documentariste Nikolaus Geyrhalter a posé sa caméra dans ce décor figé pour y rencontrer les rares âmes encore présentes. Filmer la vie là où il n’y en a plus, entreprise complexe qui confine à l’héroïsme quand on comprend à quel point l’équipe se met elle-même en danger pour capturer ces images. De l’aveu général, l’air qu’on y respire, les sols que l’on foule, le banc sur lequel on se repose, tout est encore contaminé.
Critique du film
Où que l’on regarde, tout n’est que désolation dans cette ville et pourtant, ils sont encore quelques-uns à peupler cette ville fantôme. Que ce soit à des fins scientifiques ou professionnelles, les résidents de Pripyat vivent ici dans un état de résignation. Dans différents lieux (un réacteur nucléaire, une ancienne école, une décharge de véhicules), les habitants racontent avec un stoïcisme déconcertant leur vie aux conditions défavorables et ce qu’il reste d’activité locale.
Le film suit également un couple de retraités qui, après avoir fui, a décidé de revenir vivre dans sa maison. “C’est chez nous”, répondent-ils quand on leur demande la raison de leur retour, comme si c’était une évidence. Blocs de résilience, ils acceptent la situation sans complainte, tout en étant conscients que plus rien ne subsiste autour. Cette réflexion sur le sentiment d’appartenance à un territoire est aussi poignante que passionnante.
Unsafe space
Grâce à des plans fixes d’une grande beauté qui frappent par leur aspect photographique et un noir et blanc qui capture l’ambiance moribonde des lieux, Pripyat rend hommage à son sujet en lui accordant un soin respectueux, une facture visuelle travaillée mais jamais esthétisante. Geyrhalter s’applique à montrer la ville et ses sujets le plus dignement possible. C’est d’ailleurs ce sentiment qui prédomine, lorsque l’on écoute l’abnégation de ces citoyens qui vivent, par absence de choix ou sens du devoir, dans un lieu qui les condamnent. Le documentaire donne également la parole à des individus qui semblent décorrélés de la réalité et jugent être à l’abri du danger à Pripyat. Le déni comme mécanisme de défense est peut-être une autre manière de continuer à vivre.
Face à l’incurie d’un gouvernement qui blâme les ouvriers de la centrale, les habitants de Pripyat témoignent du sentiment d’abandon qui les étreint. Ils déplorent le manque de moyens mis à leur disposition et se remémorent le sacrifice de tous ces jeunes hommes venus nettoyer les lieux après la catastrophe. Il y a quelque chose de fascinant à observer les fragments de ces vies qui ignorent leur degré de contamination sans être dupes de leur avenir. Car comme on l’entend avec calme dans le film, les radiations finissent toujours pas réclamer leurs victimes.