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SI SEULEMENT JE POUVAIS HIBERNER

Ulzii, un adolescent d’un quartier défavorisé d’Oulan-Bator, est déterminé à gagner un concours de sciences pour obtenir une bourse d’étude. Sa mère, illettrée, trouve un emploi à la campagne les abandonnant lui, son frère et sa sœur, en dépit de la dureté de l’hiver. Déchiré entre la nécessité de s’occuper de sa fratrie et sa volonté d’étudier pour le concours, Ulzii n’a pas le choix : il doit accepter de se mettre en danger pour subvenir aux besoins de sa famille.

Critique du film

Le premier long-métrage de Zoljargal Purevdash a aussi été, cette année, le premier film mongol sélectionné à Cannes (dans la section Un Certain regard). À travers le récit d’une adolescence sacrifiée, la cinéaste donne des nouvelles de son pays frappé par une modernité à deux vitesses. Loin des steppes et des clichés, c’est un beau film où les grandes espérances dégèlent lentement.

Il y a 30 ans, Nikita Mikhalkov (bien avant qu’il ne devienne propagandiste du Kremlin) célébrait les noces de l’homme et de la nature dans Urga, poème lyrique situé dans les grandes étendues de la steppe mongole. Nous avons pu goûter depuis, les contes et récits de la vie nomade transmis par la réalisatrice Byambasuren Davaa (L’Histoire du chameau qui pleure, Le Chien jaune de Mongolie…). Zoljargal Purevdash s’intéresse aujourd’hui à ces populations nomades qui ont fini par planter leurs yourtes à la périphérie d’Oulan-Bator.

PASSER L’HIVER

Ulzii et sa famille vivent dans un de ces quartiers où la pauvreté fait rage. Il est l’aîné d’une fratrie de quatre enfants, que la mère peine à maintenir à flot. Illettrée, résignée et alcoolique, elle n’a plus qu’une idée en tête, quitter cette ville qui a tué son mari. Ulzii est un élève brillant, pour qui on on nourrit de belles ambitions. Il s’oppose à sa mère et décide de rester, gardant avec lui, son frère et sa sœur scolarisés. Seul le benjamin suit la mère démissionnaire.

Ulzii va devoir se transformer en super-héros pour assumer les responsabilités cumulées de père, mère, frère, élève et tuteur. Le regard tendre que pose Zoljargal Purevdash sur ses jeunes protagonistes éloigne le film d’une tentation misérabiliste, comme si on avait confié une adaptation de Dickens à Hirokazu Kore-eda. Certes, il y a la faim, le froid et la fatigue, mais ces jeunes vies ne semblent jamais résumées à leur condition. Au contraire, le film repose sur la tension entre quotidien et avenir. C’est le pari que tente de relever Ulzii, nourrir et chauffer le petit foyer que constituent les trois enfants tout en poursuivant ses études, symbole d’une émancipation par l’éducation. C’est au coeur de ces grandes espérances que l’adolescent puise son énergie. Mais à l’impossible, nul n’est tenu. El bientôt son jeune frère tombe malade. Ulzii est alors confronté à un dilemme moral : être loyal envers son professeur qui le prépare pour au concours national de physique pour lequel il s’est brillamment qualifié ou rejoindre ses copains qui gagnent leur vie en qualité de bûcherons clandestins.

SI SEULEMENT JE POUVAIS HIBERNER

L’INTIME ET L’EPOQUE

Il pourrait y avoir une forme de pesanteur à vouloir traiter ces grandes questions mais le film se raccroche toujours à l’innocence de l’enfance, tenant une ligne fragile mais juste entre ingénuité et gravité. Ainsi, les jeux que trouvent les enfants pour désigner qui toquera à la porte du voisinage en quête d’un bout de carton pour alimenter le poêle, où l’initiative de la petite fille de vendre à la sauvette les bracelets qu’elle confectionne.

Le film ouvre parfois des intrigues secondaires qu’il maîtrise mal, on pense à la réputation du professeur qu’invoque Ulzii pour justifier son choix de lâcher la préparation du concours. On regrettera également quelques plans cosmétiques, moments de respiration qui jurent dans un récit de l’étouffement. En revanche, le film est constamment porté par les compositions originales de Johanni Curtet. De belles variations percussives pour autant de thèmes qui accompagnent, du blues à l’espoir, le cheminement des personnages. La relation conflictuelle qui oppose Ulzii à sa mère trouve une conclusion par trop convenue mais on retiendra une belle séquence onirique illuminée par un chant traditionnel non seulement superbe mais symbolique d’un lien perdu avec la mémoire de la terre.

Car le film réussit à entrelacer l’intime et l’époque, aussi habile à traduire la chaleur fraternelle dans une yourte glaciale qu’à saisir une brève manifestation écologique dans les rues d’Oulan-Bator, capitale le plus polluée du monde. Les deux dimensions sont à nouveau réunies dans une scène fulgurante. Plan large sur la ville enveloppée dans une brume effrayante. La beauté irréelle de l’image est contrastée par la toux d’un enfant. La convulsion du présent, une nébuleuse pour horizon.

Bande-annonce

10 janvier 2024 – De Zoljargal Purevdash
avec Battsooj Uurtsaikh, Nominjiguur Tsend et Tuguldur Batsaikhan