UNDERGROUND
En avril 1941, des militants communistes serbes fuient les bombardements allemands et se réfugient dans une cave. Parmi eux, deux amis, Blacky et Marko, et une actrice, Natalija, convoitée par les deux hommes. Au retour de la paix, Marko juge plus pratique de ne rien dire à ses camarades enfermés…
Critique du film
Adapté d’une pièce de Dusan Kovacevic, qui a également participé à l’écriture du scénario, Underground durait plus de deux heures quarante dans sa première version cinématographique sortie en 1995. On peut maintenant voir sur grand écran la version intégrale de 5h16 qui, pour le moment, n’avait connu que de très rares programmations sur petit écran. Cette version longue, restaurée en 4K, débarque dans nos salles françaises pour une trentaine de projections exceptionnelles. Cette mouture s’avère une totale réussite. Aucune longueur notable ne vient perturber le rythme tumultueux de ce film fleuve qui n’a pas pris une ride.
Narrant les aventures de plusieurs personnages picaresques, et notamment les tribulations tragi-comiques d’un trio amoureux, Underground va suivre ces protagonistes durant une cinquantaine d’années, à partir de l’invasion de Belgrade par les nazis jusqu’à la guerre fratricide des années 1990. Et donc dessiner un large pan d’histoire de la Yougoslavie, à travers les visions d’un Emir Kusturica au meilleur de sa forme et de sa créativité.
Blacky et Marko, deux malfrats aussi pittoresques qu’impitoyables et liés par ce qui semble être une très solide amitié, entrent en résistance contre l’occupant nazi. Blacky est par ailleurs très amoureux d’une comédienne, Natalija, déjà courtisée par un officier allemand.
Underground constitue un mélange, au départ improbable mais à l’arrivée très réussi, entre histoire romanesque, critique politique, comédie, poésie et même cartoon – pour ses bagarres homériques et certains effets de style. Il se dégage de cette œuvre une richesse thématique exceptionnelle et une alchimie mystérieuse a lieu. On y verra des scènes oniriques et poétiques qu’il faut accueillir en laissant de côté toute exigence de réalisme – une mariée qui prend son envol, un lopin de terre qui se détache du continent et part en dérivant sur l’eau -, un bombardement du zoo de Belgrade, passage à la fois surréaliste et représentatif du chaos de l’absurdité de la guerre. Visuellement très réussi, grâce à des trouvailles drolatiques, une inventivité de chaque instant, Underground est une véritable œuvre d’art, par sa formidable réussite plastique et ses tableaux souvent délirants, qui renvoient à certaines scènes felliniennes ou à des fresques classiques.
Les performances des acteurs sont mémorables – on citera notamment Miki Manojlovic, en Marko, terriblement manipulateur et diaboliquement séducteur, Lazar Ristovski en Blacky , peut-être plus honnête mais tout aussi dangereux et Mirjana Mokovic en Natalija, comédienne et amoureuse incandescente – et portent ce film sur l’amitié, l’amour, mais aussi l’engagement et les idéaux dévoyés. Une critique sans concessions des régimes totalitaires et de la manipulation se dégage de cette œuvre qui réussit la gageure de réunir la noirceur la plus totale avec des moments lumineux. Et on y trouve aussi beaucoup d’émotion. La bande-son anthologique de Goran Bregovic est à l’image du film : parfois mélancolique, parfois endiablée, mais jamais tiède.
Palme d’Or au Festival de Cannes en 1995, Underground reste un film-fleuve de grande valeur cinématographique, portant un regard sans concessions sur le monde et l’humanité et qui réussit, malgré ce qu’il nous montre, à ne jamais nous faire perdre totalement espoir, grâce à un humour à la fois salvateur et dévastateur et à une poésie de chaque instant.
Underground version intégrale sort au cinéma le 31 janvier, dans une restauration 4K orchestrée par TF1 Studio et distribuée en salles par Malavida Films. Cette version intégrale n’est projetée que pour des séances exceptionnelles. En parallèle, on pourra également revoir la version d’origine de 2 heures 47, qui constitue déjà un grand moment de cinéma.