BILAN | Les meilleurs films de février 2024
CHAQUE MOIS, LES MEMBRES DE LA RÉDACTION VOUS PROPOSENT LEUR FILM PRÉFÉRÉ LORS DU BILAN DU MOIS, CELUI QU’IL FALLAIT DÉCOUVRIR À TOUT PRIX EN SALLE OU DANS VOTRE SALON (SORTIES SVOD, E-CINEMA…). DÉCOUVREZ CI-DESSOUS LES CHOIX DE CHAQUE RÉDACTEUR DE LE BLEU DU MIROIR POUR LE MOIS DE FÉVRIER 2024.
LE CHOIX DE THOMAS PÉRILLON
Présenté l’an dernier à la Berlinale, 20.000 espèces d’abeilles d’Estibaliz Urresola Solaguren est probablement le plus beau film de ce début d’année, et un coup de coeur comme il n’en arrive que rarement. Comme Céline Sciamma l’avait fait avec Tomboy en 2011, la cinéaste espagnole nourrissait l’envie d’explorer les questions d‘identité de genre et de l’assignation des rôles attribués dans la société, et cela même au cœur des cellules familiales. Mais loin de se cantonner au sujet de la transidentité enfantine, son film raconte aussi le poids de la famille et des traditions sociales et culturelles avec lesquelles on compose afin de devenir des individus libres. La mère de Coco, en cela, a son importance, car elle suit elle aussi une trajectoire émancipatrice, à la croisée des chemins, tant pour elle que pour sa famille. Dans un cadre rural qui exacerbe le réalisme du film et les émotions des différents protagonistes, la jeune Sofia Otero, récompensée de l’Ours d’argent de la meilleure interprétation à seulement 9 ans, est éblouissante dans le rôle principal. Elle traduit à merveille l’innocence, le trouble et l’émotion de cette fillette qui cherche à se déterminer, pour elle-même et dans le regard des autres. Intime et salvateur, l’épilogue ouvre la voie à des lendemains incertains mais emplis de promesses. Sublime.
Le choix de Florent Boutet
Beaucoup de très beaux films en ce mois de février, mais c’est un cri du cœur qui est venu de la Berlinale 2023, avec ce premier film de la cinéaste basque Estibaliz Urresola Solaguren. Entre France et Espagne, à l’image de cette région transnationale, la cinéaste regarde l’identité d’une petite fille assignée garçon à la naissance avec beaucoup de tendresse et d’intelligence. L’architecture de cette famille se double d’une problématique sur l’art et le fait de trouver sa place entre les générations, dans une qualité d’écriture rare pour une première œuvre qui touche juste tant sur les personnages que dans l’intrigue. Une nouvelle magnifique autrice se révèle aux cotés de Carla Simon, autre grande nouvelle venue venue d’Espagne ces dernières années. Un bonheur de cinéma.
Le choix de François-Xavier Thuaud
Un bord de rivière, une famille en panique. Aitor a disparu, on crie son nom à en perdre la voix. Une scène d’acmé dramatique où le film travaille la zone de confiance qu’est l’enfance et la zone de doute qu’est trop souvent famille. Eneko, petit garçon spectateur d’un bouleversement, est au cœur d’un dilemme cornélien : garder le secret où lâcher le seul prénom auquel sa sœur répondra ? Il n’y a plus d’Aitor, définitivement disparu dans la nuit basque. L’été touche à sa fin, tout commence pour Lucia dont l’affirmation de la transidentité aura alimenté une chronique familiale ample et sensible où trois générations de femmes se renvoient leurs propres tourments. L’été en pente douce-amère.
Le choix d’Antoine Rousseau
Hasard du calendrier, le mois de février aura vu se succéder à quelques semaines d’intervalle deux films en trompe l’œil, deux propositions venant tordre leur dispositif narratif pour mieux bousculer le spectateur. Impossible de ne pas évoquer Le Successeur de Xavier Legrand, qui prolonge ses réflexions de Jusqu’à la garde sur la violence masculine au sein d’un thriller glacial et étouffant, parfaitement exécuté. Mais c’est sans doute la beauté des émotions pures qui émanent de Sans jamais nous connaître que l’on gardera (longtemps) en mémoire. Sur le papier, le parcours solitaire d’Adam, rongé par la solitude et le deuil impossible de ses parents réunissait tous les éléments du tire-larmes poussif. Andrew Haigh réussit pourtant l’exploit d’éviter tous les écueils inhérents au genre, et ce grâce à un ‘’simple’’ choix d’écriture dont le spectateur doit se préserver à tout prix avant le visionnage. Porté par une mise en scène éthérée et l’interprétation crève-cœur d’Andrew Scott, Sans jamais nous connaître se pare d’une poésie fantastique pour toucher du doigt une mélancolie universelle, de celles qui ne peuvent s’achever qu’en supernova.
Le choix d’Emilien Peillon
Toujours tiraillés entre des expériences intérieures qui précèdent une épiphanie et un rapport physique, concret, à la terre et aux corps, les personnages de Bruno Dumont se trouvent placés ici dans un ensemble cosmique, où deux factions extraterrestres se disputent le monde des humains. Le film joue à la fois sur l’ironie d’un dispositif parfois très réduit (tout passe par les dialogues dans certaines scènes), mais aussi avec la profonde sincérité des interprètes, pris au jeu des situations où tout le monde prétend qu’une guerre totale est en cours. Il ne faut toutefois pas s’attendre à la comédie déjantée que laisse entrevoir la bande-annonce : l’absurde est bien présent, mais diffus et presque à contre-temps. Dumont opère ainsi une sorte de mise au carré du naturalisme propre à un certain cinéma français, faisant coexister les magnifiques gros plans sur le visage bouleversé d’Anamaria Vartolomei avec des vaisseaux spatiaux tout numériques, aux designs intérieurs et extérieurs excentriques. C’est une conjugaison de deux univers, deux conceptions différentes du cinéma qui ne devrait pas fonctionner, et qui donne pourtant naissance à une juste et lumineuse symbiose.