BILAN | Les meilleurs films de mars 2024
CHAQUE MOIS, LES MEMBRES DE LA RÉDACTION VOUS PROPOSENT LEUR FILM PRÉFÉRÉ LORS DU BILAN DU MOIS, CELUI QU’IL FALLAIT DÉCOUVRIR À TOUT PRIX EN SALLE OU DANS VOTRE SALON (SORTIES SVOD, E-CINEMA…). DÉCOUVREZ CI-DESSOUS LES CHOIX DE CHAQUE RÉDACTEUR DE LE BLEU DU MIROIR POUR LE MOIS DE MARS 2024.
Le choix de Thomas Périllon
LA SALLE DES PROFS d’İlker Çatak
Le plus beau métier du monde, vraiment ? Les films sur le monde éducatif se succèdent depuis quelques mois (Un métier sérieux, Pas de vagues et un peu aussi Les enfants des autres) et mettent chacun à leur façon les failles d’un système occidental qui lâche les êtres pour protéger une institution aux pieds d’argile. C’est de l’autre côté du Rhin que se déroule La salle des profs, qui raconte le désarroi progressif d’une enseignante à l’approche pédagogique moderne, dynamique et bienveillante. Que devient l’humain lorsque la suspicion, la rancoeur et la colère prennent le dessus ? Comment gérer un tel cas de conscience ? Plus que le règlement de comptes qui se joue dans la salle des profs, c’est du côté de l’engrenage infernal dans lequel s’enferme malgré elle Carla que le film captive (et désespère) le plus. À force de se débattre pour trouver une issue favorable et raisonnable, sa bonne volonté la fait sombrer, encore et encore, jusqu’à suffoquer littéralement. Ou quand les plus nobles volontés de réparation mènent fatalement vers l’issue la plus redoutée, ou presque.
Le choix de Florent Boutet
Los Delincuentes de Rodrigo Moreno
Inscrit dans la mouvance du collectif Pompero auquel on doit les merveilleux La Flor et Trenque Lauquen, Los Delincuentes est bien plus que son apparence de film malin autour d’un vol dans une banque de Buenos Aires. Jeu de miroirs où chaque personnage semble le négatif de l’autre, le film est tel un origami qui se déploie pour notre plus grand plaisir dans une farandole de situations plus savoureuses les unes que les autres. Ambitieux, d’une écriture virtuose et maligne, Los Delincuentes porte haut les couleurs de cette mouvance du cinéma argentin qui continue de se déployer avec une classe unique au monde.
Le choix d’Antoine Rousseau
Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d’Ariane Louis-Seize
Simple comme Sylvain, Les chambres rouges… Le cinéma québécois n’en finit plus d’étonner, faisant régulièrement résonner dans nos contrées la voix singulière de ses cinéastes. Nouvelle preuve en est avec Vampire humaniste cherche suicidaire consentant. Le premier long-métrage d’Ariane Louis-Seize surprend par la qualité de son écriture tout à la fois tendre et mordante (sans mauvais jeu de mots) . En racontant les questionnements identitaires d’une jeune vampire qui rejette sa condition, la réalisatrice déconstruit avec malice la figure vampirique tout en dépeignant de manière assez juste les angoisses adolescentes contemporaines. En résulte un film à la frontière des genres, toujours drôle, jamais cynique, joliment interprété et qui compose habilement de ses économies de moyens. Un vrai coup de cœur qu’on se doit de soutenir en salle.
Le choix de François-Xavier Thuaud
O Corno, une histoire de femmes de Jaione Camborda
L’exemple parfait d’un film historique qui évacue la question de la reconstitution au profit de motifs et d’échos qui raisonnent au long du récit mais aussi à travers les époques. Jaione Camborda est en quelque sorte l’anti Paola Cortellesi, cinéma des corps et non des décors, du ventre et non du nombril. Bord cadre, ici les hommes ne sont pas des caricatures, mais c’est dans les yeux (le regard de Janet Novàs est un spectacle à lui seul), les sexes et les mains des femmes qui se modèle un monde de solidarité éclairé par le maître de la lumière, le portugais Rui Poças. La séquence d’ouverture balaye 130 ans d’accouchements au cinéma.
Le choix de Marie Serale
Vampire humaniste cherche suicidaire consentant d’Ariane Louis-Seize
Tout en contrastes, Vampire humaniste cherche suicidaire consentant est arrivé dans nos salles françaises au printemps, alors que son atmosphère sombre et mélancolique nous donnerait presque envie de passer directement à l’automne. Quel plus grand tourment pour un vampire que d’être incapable de tuer pour se nourrir ? C’est le problème rencontré par Sasha, une « jeune » vampire de 68 ans, interprétée par la brillante Sara Montpetit dans ce premier long-métrage d’Ariane Louis-Seize. Paul (l’étonnant Félix-Antoine Bénard), lui, ne tient pas particulièrement à la vie. Si le titre résume à lui seul l’intrigue, on tombe sous le charme étrange des aventures nocturnes de ce duo, rythmées par un humour irrésistible. Une vraie pépite qui rafraîchit le genre du teen movie et le mythe du vampire, tout en explorant le mal-être adolescent et nos différences.
Le choix d’Adrien Roche
The Sweet East de Sean Price Williams
Il suffit d’un générique musical chanté par Lilian (Talia Ryder) pour se laisser emporter dans le road-trip jouissif et frénétique de The Sweet East. Un simple regard caméra, dans le reflet d’un miroir, plonge le long-métrage dans un voyage onirique et intemporel, à forte inspiration carrollienne. Lilian n’est en revanche pas au pays des merveilles : elle est au pays des néo-nazis, des sectaires et des illuminés, capturé par une splendide photographie granuleuse. Grâce à son humour noir piquant et son absurdité sans limite, The Sweet East dénonce une société outrancière en perte de repaires. Chaque communauté en prend pour son grade. Sean Price Williams place le spectateur en juge des partenaires de voyage de la protagoniste : c’est à nous de prendre le recul nécessaire pour séparer le bien du mal et le ridicule du dangereux. Et après le deuxième regard caméra de Talia Ryder à la fin du film, cette fois-ci sans miroir, l’envie de se replonger dans cette aventure loufoque et addictive est irrépressible.
