NORAH
Arabie Saoudite, dans les années 90. Le nouvel instituteur, Nader, arrive dans un village isolé. Il rencontre Norah, une jeune femme en quête de liberté. Leur relation secrète, nourrie par l’art et la beauté, va libérer les forces créatrices qui animent ces deux âmes sœurs… malgré le danger.
Critique du film
Poussé par la passion pour l’art, le réalisateur Tawfik Alzaïdi a commencé à réaliser des films, bien avant que les salles ne soient ouvertes en Arabie Saoudite. Dès 2006, il signe son premier court-métrage Le Crime fabriqué, suivi de Le silence dès l’année suivante, et bientôt de trois autres lors de la décennie précédente, lui offrant une reconnaissance plus large grâce à plusieurs festivals internationaux. Avec Norah, présenté au festival de Cannes dans la sélection Un Certain Regard, il signe son premier long-métrage inspiré de son rapport à l’expression artistique.
Tourné dans la région d’Al-Ula, l’histoire de Norah se déroule en 1996. Dans un petit village enclavé entre les formations rocheuses et les zones désertiques, la jeune femme éponyme, orpheline depuis l’enfance, s’ennuie et rêve d’échapper au destin qui lui est promis : se marier à un homme choisi pour elle et finir sa vie au sein de cette communauté conservatrice. Pour tromper son désarroi, elle achète secrètement des magazines dans la seule épicerie locale – alors que leur vente y est strictement prohibée par la loi. En les feuilletant chaque soir, elle s’imagine loin de cette existence recluse et contrainte.
Un jour, Nader, un instituteur provenant de la ville, débarque au village, envoyé par le gouvernement pour permettre aux garçons d’apprendre à lire et à écrire. Son arrivée ne manque pas de susciter la méfiance chez certains hommes mais un intérêt certain chez les plus jeunes habitants. Celui de Norah nait lorsque son petit frère lui montre un portrait dessiné par son enseignant pour le récompenser de son travail sérieux. C’est par ce dessin que le lien se créé et, bientôt, elle demande à l’épicier de transmettre à l’enseignant son vœu : qu’il réalise un portrait d’elle en couleurs.
Il n’y a rien de pire que les rêves…
Mais la loi locale est stricte : nul homme ne doit voir le visage d’une femme. Avec la complicité craintive du commerçant, une alternative est trouvée. D’abord réticent, celui qui fut jadis un artiste à la ville finit par accepter et commence quelques esquisses avant de ressortir son pinceau dans la plus grande confidentialité, tous les arts étant prohibés dans les lieux publics en Arabie Saoudite (qu’ils soient picturaux, musicaux ou cinématographiques). Les rencontres furtives et secrètes avec Norah ravivent chez lui son goût pour la peinture, tandis que la jeune femme comprend qu’elle n’aura pas d’autres choix que de partir pour vivre la vie qu’elle espère.
S’il est évident que l’on ne découvre pas la condition féminine en Arabie Saoudite, Norah remet en lumière l’oppression systémique régnant dans les territoires ruraux, affectant en premier lieu les femmes (mariées de force, cloisonnées et privées d’éducation et de tout accès à l’instruction et la culture), mais aussi toute la population qui vit sous un régime de peur, instauré et maintenu par quelques patriarches considérant l’extérieur comme une menace qui mettrait en danger leur pouvoir. Il faut voir comment les femmes, les enfants et mêmes les hommes (à moindre mesure) se soumettent aux décisions du chef de village et de ses quelques sbires influents, qui s’efforcent de maintenir la population en vase clos.
Mais le premier film de Tawfik Alzaidi n’a pas l’ambition d’être un manifeste politique, mais bel et bien une déclaration d’amour à l’art, biais par lequel nos âmes s’expriment librement. Ainsi, les scènes de dessin et de peinture semblent être celles qu’il a le plus soignées, accordant une attention particulière aux préparatifs ou au regard de l’artiste, offrant au film ses plus jolis moments. Le charme espiègle et fougueux de la jeune Maria Bahrawi et la présence convaincue de Yagoub Alfarhan permettent aux scènes qu’ils partagent de créer cette étincelle qui manque parfois, la faute à une dramaturgie trop modeste pour permettre au film de pleinement marquer les esprits.