LA PETITE VADROUILLE
Justine, son mari et toute leur bande d’amis trouvent une solution pour résoudre leurs problèmes d’argent : organiser une fausse croisière romantique pour Franck, un gros investisseur, qui cherche à séduire une femme.
Critique du film
Tout juste un an après le très mineur Wahou ! Bruno Podalydès revient sur les écrans en bien meilleure forme. À 63 ans, il continue, avec sa bande de complices, à faire le Jacques, bien calé entre le burlesque tendre de Tati et l’aventure buissonnière de Rozier. On retrouve dans La Petite vadrouille ce parfum d’enfance qui rend ses personnages si attachants et pour la première fois, le cinéaste met en scène l’émergence d’une nouvelle génération.
Entourloupette sur la pénichette
Dans Comme un avion, Michel s’offrait une parenthèse égoïste, par plaisir et gôut de l’aventure. Ici, c’est la nécessité qui motive Jocelyn de descendre le canal de Bourgogne à la barre de la Pénichette. Autour de lui, Rosine, Sandra, Caramel et Albin ne s’en sortent pas non plus. On ne tire pas vraiment le diable par la queue, mais les petites dettes entre amis poussent les uns et les autres à la limite de l’honnêteté. Que l’on se rassure, quand Bruno Podalydès évoque une certaine crise, il se tient loin d’une chronique sociale naturaliste. Personne n’est dupe de rien, un sac poubelle n’invisibilise pas le larron et les séances d’hypnose en ligne de Rosine font davantage loucher que dormir. Il n’en reste pas moins que chez ces gens-là, Monsieur, on compte et on négocie. Lorsque Franck, le patron de Justine, pointe le bout de son nez avec ses 14 000 boules, l’occasion est trop belle de ne pas croire au Père Noël. La fine équipe entend se servir sur la bête en toute loyauté et en s’amusant. Il s’agit de lui concocter un week-end insolite et romantique. Podalydès filme la préparation de l’opération comme si les Pieds nickelés s’apprêtaient à dévaliser la Banque de France. Tout le plaisir du début du film réside dans ce décalage, habituel regard amusé du cinéaste pour croquer les splendeurs et misères de la comédie humaine.
Le pigeon de l’écluse
Le plan s’annonce sans accroc, le pigeon sera à la fois bien traité (la réputation professionnelle de Justine est en jeu) et bien plumé. Évidemment, tout part du mauvais pied lorsque Justine comprend que c’est d’elle dont Franck est tombé amoureux. Qu’à cela ne tienne, le jeu en vaut la chandelle. De bief en bief, d’écluse en écluse, Franck crache au bassinet alors que se déploie un comique de répétition et les germes d’une crise de couple. Daniel Auteuil, nouveau venu dans la « bande à Poda », incarne un magnifique faux jocrisse qui se révélera très beau joueur, un rôle qui le place dans l’héritage flamboyant d’un Marcel Dalio. Tout est théâtral sur la pénichette, où on navigue entre proue et poupe comme entre cour et jardin. Les messes basses se font à voix haute pour atteindre les oreilles d’un public imaginaire pendant que Rosine et Caramel change le décor à vue (Isabelle Candelier et Jean-Noël Brouté s’en donnent à coeur joie).
Avant de disparaître, la troupe prendra même le temps de saluer. On s’amuse beaucoup, sans pour autant que La Petite vadrouille atteigne les sommets jubilatoires de Liberté-Oléron ou Comme un avion, dont il serait la conclusion d’un putatif triptyque maritime. Moins charnel, moins émouvant, le film reste un peu scotché à la surface de l’eau. À l’image de l’enlisement du la Pénichette, il se retrouve à l’arrêt et remis à flot par la jeune génération. Tout en déplorant que trop peu de place lui soit accordée, on est heureux de voir cette nouvelle génération prendre une place tout à fait nouvelle dans le cinéma de Bruno Podalydès qui opère peut-être ici, un virage.
On notera que la jeunesse qu’il montre est clairement en résistance avec le monde tel qu’il va, sa protestation prend la forme d’une désolidarisation qui sied parfaitement au cinéaste de la fugue. Si Jean et Nino Podalydès continuent de grandir fugacement devant la caméra paternelle, c’est surtout Dimitri Doré (la révélation de Bruno Reidal) qui crève à nouveau l’écran en moussaillon tout droit sorti d’une bande-dessinée. Comme lui, notre regard reste suspendu à l’apparition d’un ange sur une balançoire, parenthèse magique d’une croisière fort plaisante. On pourra aussi y voir un joli clin d’oeil aux Ailes du désir, parmi d’autres qui, au long du film, évoquent, par l’image ou par le son, de grands classiques du cinéma. Pourquoi s’arrêter de jouer !
Bande-annonce
5 juin 2024 – De Bruno Podalydès, avec Daniel Auteuil, Sandrine Kiberlain, Denis Podalydès