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MISÉRICORDE

Jérémie revient à Saint-Martial pour l’enterrement de son ancien patron boulanger. Il s’installe quelques jours chez Martine, sa veuve. Mais entre une disparition mystérieuse, un voisin menaçant et un abbé aux intentions étranges, son court séjour au village prend une tournure inattendue…

Critique du film

C’est à l’avant d’une voiture, caméra vers la route, que s’ouvre Miséricorde de Guiraudie. Dans la campagne aveyronnaise, le véhicule parcourt les routes sinueuses et déjà, un malaise ambiant s’installe. Il se confirme lorsque l’on aperçoit les premiers habitants du village du film. On les aperçoit à peine, la voiture tournant trop vite pour permettre à la caméra de capter leurs visages. Peu importe, ils ne seront pas au cœur du film. Ils seront épargnés par la mort et les non-dits, par les désirs refoulés, par le lent poison que le conducteur s’apprête à déverser sur une famille endeuillée. À Saint-Martial, le boulanger est mort. Personne ne sait pourquoi. Personne ne sait comment. Jérémie (Félix Kysyl) en profite pour retourner voir le fils du défunt, son ami d’enfance Vincent (Jean-Baptiste Durand).

Dans ce petit village où tout se sait, Jérémie est une anomalie. Désormais toulousain, le citadin apporte avec lui les maux de la ville. Là où As Bestas plaçait la menace chez les locaux, Miséricorde fait du nouveau venu un révélateur, dévoilant toute la malice de cette famille campagnarde. Jérémie n’est pas là pour reprendre la boulangerie, même si Martine (Catherine Frot), désormais veuve, lui demande. Il n’est pas non plus là pour revoir Vincent, qu’il méprise sans vraiment le dissimuler. Peut-être qu’il est là pour retrouver Walter (David Ayala), connaissance sa jeunesse qu’il n’a jamais vraiment regardée. Alain Guiraudie ne nous donne pas vraiment les clés de la psyché de Jérémie. Sa directrice de la photographie Claire Mathon capte des plans chimériques de la forêt voisine pour distiller une mythologie invisible dans le long-métrage, qui grandit au fil des nombreux sursauts scénaristiques.

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Journal d’un curé de campagne

Adapté d’une partie de son roman Rabalaïre (comme l’était déjà Viens je t’emmène), Miséricorde entraîne personnages et spectateurs dans une spirale de violence. On se bat pour parler, on se bat pour s’aimer, on se bat pour tuer. Dans cette campagne qu’on filme peu, Guiraudie révèle la viciosité de l’être. Comme Jean-Baptiste Durand avec Chien de la Casse, le cinéaste profite de l’étroitesse des rues pour nous en faire visiter tous les recoins. Recoins constamment occupés par un curé omniscient (extraordinaire Jacques Develay), pilier de cette communauté mais également son membre le plus insaisissable.

De tous ces personnages merveilleusement écrits et interprétés, il est celui qui marque le plus. Chaque regard est hilarant, chaque apparition est surnaturelle. Toute l’intrigue est peu crédible, parsemée de métaphores sexuelles (cèpes phalliques, gestes et regards pervers) et d’un humour noir parfaitement maîtrisé. Et lorsque la mort frappe une seconde fois, Miséricorde bascule vers le mystique, alors que Jérémie s’enlise dans ce village pour mieux l’exploiter. Sorte de Théorème chez les moyens, le long-métrage de Guiraudie parvient à créer des personnages aussi malicieux que touchants. La chambre de Jérémie est un véritable hôtel ou flics, veuve et prêtre souhaitent (et parviennent parfois) à s’immiscer, renforçant une tension sexuelle palpable dès l’introduction du métrage.

La nuit et la forêt sont les seules témoins des non-dits permanents, théâtres du macabre. Elles sont les réceptacles des vrais visages des villageois, qu’ils soient des enfants adultes aux traumatismes oedipiens ou des religieux flegmatiques en manque de désir. Guiraudie a signé un long-métrage facétieux et jubilatoire, un mélange les genres qui dépasse presque le cadre du réel pour se muer en œuvre bien plus dense qu’il n’y paraît.

Bande-annonce


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