MARIA
L’histoire tumultueuse, belle et tragique de la vie de la plus grande chanteuse d’opéra du monde, Maria Callas, reconstituée pendant ses derniers jours dans le Paris des années 1970.
Critique du film
Avec huit long-métrages en une décennie, tant en langue anglaise qu’en Espagnol, Pablo Larrain est devenu un des réalisateurs contemporains les plus prolifiques, avec un appétit certain pour les portraits. De Jackie à Maria, en passant par Neruda ou Spencer, Larrain affectionne ces biopics dont il triture les formes pour en proposer des narrations inattendues. Avec son dernier film, c’est aux derniers jours de Maria Callas qu’il consacre sa caméra, dans un intervalle de deux semaines qui n’ont pas pour but de résumer toute une vie, au contraire de bien de ces projets biographiques aussi vains que convenus qui pullulent chaque année. Il est assez facile de constater que Jackie (2016) et Maria sont deux films aux proximités assez évidentes, contemporaines elles ont toutes deux partagées la vie de l’armateur millionnaire Aristote Onassis. Dans cette comparaison, la Callas revêt le rôle de la femme cachée, à côté de l’épouse légitime maintes fois cités dans Maria, mais jamais montrée, dans une grande cohérence intellectuelle de la part du cinéaste.
Maria Callas est seule dans ses derniers instants, entourée par ses fidèles employés de maison joués par Alba Rohrwacher et Pierfrancesco Favino. Cette solitude est pesante, redoublée par l’omniprésence de la précarité physique de la cantatrice, et de son addiction à toutes sortes de médicaments comme le Mandrax, sédatif puissant très utilisé dans les années 1970, période où se déroulent les faits relatés par le film. Cet élément narratif souligne la difficulté de Maria Callas à discerner le vrai du faux, dans un script qui fait la part belle à l’imagination, le médicament lui-même s’incarnant sous la forme d’un vidéaste, avec lequel la Callas déambule dans Paris. Le film n’est jamais autant réussi que quand il utilise ses séquences pour créer des formes sublimes, avec l’utilisation de format d’image divers et variés. Grain épais, lumières écrues, Larrain expérimente visuellement pour recréer l’état interne bouillonnant de la chanteuse, toujours entre grande liberté et dégradation physique.
La proposition de mise en scène devient ici brillante, notamment dans une scène où le cinéaste chilien alterne scène du présent de la narration, avec une tentative de retour à la scène de Callas, et ses plus grandes heures, notamment à Milan. Même pour un profane ignorant des subtilités de l’opéra, il est évident en quelques alternances de plans que Maria n’est plus la Callas, toute sa force semblant s’être évaporée pour ne plus laisser place qu’à des approximations dans le chant et à une fragilité particulièrement émouvante. Ce jeu de comparaison, mené avec brio, révèle tout le drame vécu par l’artiste, dans un renoncement combattu par une envie dévorante de continuer à exister sur le seul terrain qu’elle connaisse.
À coté de ces prouesses visuelles, un doute subsiste malgré tout quant aux limites du film, peut-être trop corseté par la brièveté de ses bornes temporelles. Si le geste est beau, réussi et impressionnant bien souvent, le sentiment d’assister à peu de choses, avec une narration extrêmement ténue, demeure fortement. L’originalité du film se retourne quelque peu contre lui, les enjeux sont peu définis et l’ensemble manque parfois de force à avoir voulu laisser beaucoup d’éléments dans l’ombre pour se consacrer sur l’extrême fin d’une vie d’artiste aussi exigeante. À ce titre le personnage d’Aristote Onassis n’est qu’une esquisse, il est assez difficile d’appréhender avec précision le rôle exact qu’il a pu jouer dans la vie de la Callas. De la même façon, l’irruption de Valeria Golino dans le dernier tiers de l’histoire, sœur du personnage principal, intervient trop tard pour véritablement créer un lien avec l’enfance, la matrice qui aurait pu créer une dialectique passionnante entre celle que fut Callas, et ce qu’elle est au moment de fermer les yeux définitivement.
Malgré ces quelques réserves, Maria demeure un spectacle d’une grande beauté plastique qui impressionne par ses partis pris de mise en scène et l’audace de ses choix visuels. Angelina Jolie y trouve un grand premier rôle qu’elle porte magnifiquement, sans coups d’éclats, avec une finesse émotionnelle d’une grande sensibilité. Ce crépuscule d’une idole devient grâce à elle un portrait très noir et pessimiste tout entier dévolu à la solitude et la tristesse d’une icône disparue sans un bruit.
12 février 2025 – De Pablo Larraín, avec Angelina Jolie, Pierfrancesco Favino, Valeria Golino