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LEURS ENFANTS APRÈS EUX

Août 92. Une vallée perdue dans l’Est, des hauts fourneaux qui ne brûlent plus. Anthony, quatorze ans, s’ennuie ferme. Un après-midi de canicule au bord du lac, il rencontre Stéphanie. Le coup de foudre est tel que le soir même, il emprunte secrètement la moto de son père pour se rendre à une soirée où il espère la retrouver. Lorsque le lendemain matin, il s’aperçoit que la moto a disparu, sa vie bascule.

Critique du film

Au bord d’une rivière, vêtus de maillots de bain et pétris d’interrogations sur le devenir de leur journée d’été, deux cousins se lancent à l’aventure en volant un canoë pour rejoindre une plage connue pour abriter des nudistes. Dans cette introduction de Leurs enfants après eux des frères Boukherma, si ce n’était un carton inaugural précédant la scène, rien ne laisse préjuger de la date exacte où se déroule l’action. Cette légèreté hors-du-temps est peut être le seul instant où l’imagination peut se permettre de transporter le spectateur en dehors d’un parcours balisé, où chaque scène va suivre un parcours fléché par une bande-son omniprésente qui tient le rôle de cailloux blancs que vont suivre religieusement les personnages dans leurs périples. Adaptation du roman éponyme de Nicolas Mathieu, prix Goncourt 2018, se heurte de plein fouet à la difficulté extrême d’adapter un texte célèbre, avec une marge de manœuvre étroite pour se l’approprier et en faire un objet cinématographique à part entière.

Ce défi impose d’emblée une exigence dans le regard qui se traduit par l’analyse des choix de mise en scène opérés par Ludovic et Zoran Boukherma. S’il est impossible en l’état de leur reprocher les lieux du tournage, une petite ville de Meurthe et Moselle située autour du lac de Pierre-Percée, ou la temporalité, les années 1990, qui est celle du roman, c’est bien la manière de l’illustrer et de rythmer le scénario qui est en cause. L’écriture même de l’adaptation est problématique, celle-ci étant véhiculée et rythmée presque exclusivement par le biais d’une nostalgie paradoxale, les auteurs étant nés l’année même où commence l’histoire, en 1992. Chaque année, chaque nouvelle scène, se retrouve illustrée par une tautologie propre au moment raconté, que ce soit par une musique, un jeu vidéo, ou un fait d’actualité. Chacun de ces motifs, au départ plutôt amusant, finit par prendre une place démesurée qui frise l’écoeurement dès la fin de la première moitié du film.

Les morceaux de musique, en grande majorité contemporains de ces années de la fin du XXe siècle, deviennent à force de répétition de petites vignettes illustratives qui constituent autant de clins d’oeil, surlignés par un zoom, un effet visuel, ou une omniprésence autant intra-diégétique qu’extérieure aux scènes elles-mêmes pour qu’on ne puisse les ignorer. Ces effets font immédiatement penser à l’utilisation musicale opérée dans de nombreux films de Xavier Dolan, bien loin des influences « scorsesiennes » revendiquées dans la confection du film. L’échec de ce procédé est patent devant l’absence de liant entre chaque scène, et surtout dans l’incapacité à réussir un crescendo dans l’intensité dramatique, pourtant fondamentale pour accéder aux moments clefs du texte. Le meilleur exemple est sans doute le bal du 14 juillet, moment qui précède le départ du personnage principal, Anthony, pour l’armée le lendemain matin.

Ce moment précis est celui de la disparition du père, et un aboutissement dans le film qui se concrétise par la scène du lac. S’il n’est pas possible de retranscrire les pensées des personnages, apanage de l’exercice littéraire qui permet une mise en abime impossible à retranscrire au cinéma, rien est fait pour créer un dispositif qui permettrait au film d’atteindre le même niveau d’émotions. À vouloir évider sa pelote d’événements sans jamais rien tenter d’original, les deux auteurs en perdent la moelle de ces instants qui définissent les vies des personnages et les font basculer dans une nouvelle étape de leur vie, avec un dernier acte qui coïncide avec la coupe du monde de football en France en 1998. Cet échec précis empêche une conclusion forte, précipitant l’histoire dans une indécision mollassonne où les acteurs et actrices eux-mêmes semblent perdus dans leur jeu.

En cela, il est difficile de faire des reproches au casting, Paul Kircher en tête, plutôt à l’aise dans ce rôle de jeune ingénu qui ne trouve jamais véritablement sa place au sein d’un territoire en friche. Son couple distendu avec Angelina Woreth est même l’un des seuls éléments qui fonctionnent dans le dispositif des Boukherma. Mais cela reste bien peu de choses tant la dynamique tombe à plat à chaque segment, engluée dans des détails beaucoup trop envahissants, au détriment d’une écriture qui aurait mérité plus d’audace et de partis pris originaux.


De Ludovic et Zoran Boukherma, avec Paul Kirscher, Angelina Woreth et Sayid El Alami.


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