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KILL THE JOCKEY

Remo Manfredini est une légende dans le monde des courses de turf dont le comportement autodestructeur éclipse son talent. Abril, une jockey prometteuse, est enceinte de Remo et doit choisir entre avoir son enfant ou continuer à courir. Ils courent tous deux pour Sirena, un important homme d’affaires qui a sauvé la vie de Remo dans le passé.

Critique du film

Si le cinéma argentin est sans doute le plus dynamique de la sphère sud-américaine, il continue à surprendre par sa capacité à proposer des films aux formes toutes plus différentes les unes que les autres. À coté des films policiers et sociétaux où règne la figure de Ricardo Darin (Neuf reines, Les nouveaux sauvages), on trouve un cinéma indépendant qu’il est bien difficile de résumer en quelques mots. Que ce soit le cinéma du collectif Pompero, révélé en Europe avec les perles que sont La Flor de Mariano Llinas et Trenque Lauquen de Laura Citarella, ou d’un cinéma social efficace comme le récent Grand prix de la Semaine de la critique à Cannes 2024, Simon de la montagne, il y a un bouillonnement de talents exceptionnels en Argentine. Luis Ortega en est une autre figure, plus discrète néanmoins, aperçue avec L’ange, son long-métrage sorti en 2018, qui avait été sélectionné à Cannes dans la catégorie Un certain regard.

Son nouveau film, Kill the Jockey, tourne autour de l’acteur franco-argentin Nahuel Pérez Biscayart, éblouissant de talent dans 120 BPM de Robin Campillo (2017), un jockey sulfureux qu’on découvre inanimé dans un bar pour le moins étrange. Cette introduction, qui nous présente à la fois le personnage et son univers, déroule les scènes les plus remarquables du film. Remo, dans son habit de travail aux couleurs criardes, est récupéré dans un tripot par son employeur, qui le somme de se préparer pour participer à une course où il est engagé.

Sans un mot, Remo se déploie dans des couloirs où règnent une grande agitation et une atmosphère de compétition qui tranche avec ce bar où l’on retrouvait musiciens handicapés et hommes en perdition de toutes sortes. En quelques instants, l’auteur plante un personnage « borderline », qui ne peut courir sans être sous l’emprise de drogues puissantes, ce qu’il nous montre dans un enchainement de prises d’une grande virtuosité, notamment dans la préparation d’un cocktail où se mêlent fumée, kétamine et whisky, pour finir dans une chute hilarante qui esquisse en peu d’effets toute la profondeur narrative potentielle du film.

kill the jockey

Cette folie initiale, qui époustoufle autant qu’elle déroute, finit malheureusement par devenir un poids qui leste l’histoire jusqu’à l’écoeurement et l’épuisement. L’humour guignolesque devient peu à peu d’une grande lourdeur, ne réussissant plus à sauver une narration qui perd son fil et sa cohérence à trop vouloir en faire dans l’absurde. Ainsi, sans qu’on sache trop pourquoi, Remo devient Lola, dans une transition qui s’impose brutalement, pour disparaître aussi rapidement qu’elle était apparue, pour laisser la place à des courses de chevaux grotesques où Remo affronte voitures et animaux à tour de rôle, sous les ordres du gardien de la prison où il est incarcéré pour des meurtres incompréhensibles. L’écriture devient si brouillonne que le sens échappe totalement au spectateur, sans que jamais la qualité de cet univers ne vienne à la rescousse, comme peuvent le faire les histoires d’Abel et Gordon, dans un charme et une vista qui échappent totalement à Luis Ortega, en roue libre absolue dans un final dont les choix de mise en scène, et notamment l’utilisation du hors champ, trouble plus qu’autre chose un récit déjà bien cabossé.

Il est donc fort regrettable que la très bonne impression initiale se mue en une déception où l’on retient un agacement graduel vis à vis des personnages et les situations ubuesques créées par Luis Ortega. Si les personnages pouvaient être intéressants, la proposition tombe à plat à cause d’une absence criante de liant entre les scènes, collées bout à bout sans qu’on ressente jamais une idée collective qui aurait pu souder cette histoire en un tout plus cohérent. Ce supplément d’âme manque cruellement à Kill the Jockey qui ne survit pas à son excellente introduction, contenant toute l’énergie et le talent du film.


De Luis Ortega, avec Nahuel Perez Biscayart, Ursula Corbero et Daniel Gimenez Cacho.


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