babygirl

BABYGIRL

Malgré les risques et les préjugés, un PDG très prospère entame une liaison illicite avec sa stagiaire beaucoup plus jeune.

Critique du film

Il y a 25 ans, Nicole Kidman concluait le dernier film de Stanley Kubrick, Eyes Wide Shut, par un « fuck » qui résonnait comme un couperet après deux heures de film menées sur la thématique de la frustration et la perte du désir charnel. Dans Babygirl d’Halina Reijn, on retrouve l’actrice américano-australienne dans la fin de sa cinquantaine, en pleins ébats amoureux avec son mari, joué par Antonio Banderas. Il y a comme une continuité programmatique dans cette introduction qui reprend là où Kubrick s’était arrêté, sans que la suite de l’histoire soit l’épanouissement sensoriel réclamé par Kidman dans sa saillie finale. Son personnage est ici des plus étonnants : elle joue Romy, une cheffe d’entreprise qui a fait toute sa réputation dans un univers très masculin, celui de la tech’ et de l’automatisation des services. Si le propos est très centré sur le sexe et nos différentes visions de l’accomplissement en ce domaine, il est très important de noter que cette femme est un modèle, une héroïne pour toute une génération qui veut s’accomplir dans son emploi au même titre que leurs collègues hommes.

Cette position sociale est sans cesse rappelée dans le film : elle est la patronne, au sommet d’une pyramide où elle incarne le pouvoir et la responsabilité. Ce schéma est prépondérant car il conditionne toute notre vision de ce que peut faire ou pas cette femme, et le jugement qui va être porté sur sa relation adultérine naissante avec l’un de ses internes. Le positionnement de chacun de ces personnages, que ce soit celui de Romy, ou bien de son mari Jacob, mais aussi celui de son assistante, Esme, et bien sûr Samuel, l’amant plus jeune, établit des constats édifiants qui en disent longs sur les incompréhensions. Que ce soit pour des raisons générationnelles ou de positions sociales, les erreurs d’interprétations sont légion et leurs révélations est sans doute ce qui est le plus passionnant dans Babygirl.

Le film est marqueté comme un film sulfureux, aux ondes clairement érotiques, pourtant il provoque tout d’abord un profond malaise dans tout ce qu’il charrie d’images attendues et de clichés d’un type de fiction profondément éculé. Ce que réussit Halina Reijn tient dans ce constat que les lignes ont bougé, ou tout du moins que les réactions attendues à ce type de récit et d’aventures est loin d’être aussi évident qu’on pourrait le croire. Romy est tout d’abord confrontée au regard de sa propre fille, lesbienne, et libérée dans ses premiers amours, qu’elle confesse à ses parents sans tabous. Les reflets que se renvoient ses deux membres d’une famille renseignent beaucoup sur les évolutions des relations humaines au XXIème siècle, cela sans tomber dans des poncifs trop faciles qui voudraient que tout soit désormais fluide et sans embûches.

Babygirl

Si la fille de Romy expérimente joyeusement, elle souffre également, la simplicité n’habitant jamais totalement une relation amoureuse, surtout quand il est question des premiers émois. Dans ce miroir, Romy comprend au forceps que la confrontation des émotions et des désirs amènent des réponses inédites, et à ce titre le personnage de Samuel, magnifique Harris Dickinson, surprend beaucoup, brouillant les pistes maintes fois rebattues du jeune amant convoitant les faveurs d’une femme plus âgée. Le duel le plus intéressant est sans doute celui qui l’oppose à Jacob, un Antonio Banderas plus à vif que jamais, amoureux transi désarçonné par un jeune homme qui ne correspond pas du tout à son idée très doloriste de ce type de liaison, jugée déséquilibrée à cause des différences d’âge et de pouvoir.

Ici encore, Babygirl réussit à rester sur le fil du rasoir, ne tombant jamais dans les banalités du genre, en préférant suggérer, en une ou deux lignes de dialogue, que d’asséner des vérités absolues sur un sujet forcément complexe et évolutif. Une fois l’intrigue refermée, il est assez enthousiasmant de constater que la stature du personnage de Romy en ressort renforcée, sans que ni honte ni opprobre professionnelle ne viennent l’engloutir dans un tourbillon incontrôlable. C’est cette finesse qui est la plus séduisante dans ce film qui n’est jamais aussi bon que quand il joue avec nos certitudes et une certaine idée éculée de la morale.


De Halina Reijn, avec Nicole KidmanAntonio BanderasHarris Dickinson


Mostra de Venise 2024