LA GARÇONNIÈRE
C.C. Baxter est employé à la Sauvegarde, grande compagnie d’assurance. Dans l’espoir d’un avancement, il prête souvent son appartement à ses supérieurs qui y emmènent leurs petites amies. Un jour le chef du personnel le convoque et lui apprend qu’il sait tout et lui demande aussi sa clé. Baxter est enfin promu. Mais ce qu’il ignorait c’est que le chef du personnel emmenait dans son appartement la femme dont il était amoureux.
Critique du film
Réalisé en 1960, entre Certains l’aiment chaud et Un, deux, trois, La Garçonnière constitue une superbe critique de l’American way of life et de ses dérives, notamment à travers une description de la vie en entreprise, que l’on serait presque tenté de qualifier de « survie » en entreprise. C.C. Baxter, qu’interprète Jack Lemmon pour sa deuxième collaboration avec Billy Wilder – il y en aura sept en tout –, travaille au dix-neuvième étage d’un building où siège une grande compagnie d’assurances. Travaillant sans relâche dans l’enfer d’un open space géant et déshumanisé, C.C. Baxter fait régulièrement des heures supplémentaires qui ne lui seront pas payées. Car cet employé modèle et célibataire ne peut généralement pas rentrer directement dans son appartement new yorkais pour la simple et bonne raison qu’il prête régulièrement son logement à des cadres qui, chacun à tour de rôle, bénéficie du logement pour y convier sa maîtresse. Tout cela sans réelle contrepartie, si ce n’est une vague promesse de recommandation pour une promotion qui tarde à venir. Jusqu’au jour où, finalement, l’employé commence à monter en grades, mais les complications ne sont peut-être pas loin…
Billy Wilder a toujours été doué pour les jeux de massacre, les portraits au vitriol d’une humanité souvent cruelle, autocentrée et méprisante. Ici, les supérieurs de C.C. Baxter promettent monts et merveilles à leurs conquêtes éphémères – souvent leurs secrétaires car ils les tiennent sous leur joug hiérarchique -, jurant leurs grands dieux qu’ils divorceront et se parjurant à chaque fois. C.C. Baxter fait montre d’une forme de servilité assez peu glorieuse, et il faut tout le talent et le charme de Jack Lemmon pour rendre le personnage si attachant. Ici, une carrière peut se faire ou se défaire selon que vous acceptez ou non de rendre service à vos chefs, quitte à vous oublier et à laisser au vestiaire toute forme de dignité ou de rébellion.
L’humour de La Garçonnière repose beaucoup sur l’enfer dans lequel vit C.C. Baxter, contraint de jongler avec un agenda – du moins celui des « réservations » de son appartement – presque digne de celui d’un premier ministre. Pas mal de répliques hilarantes parsèment le film, le héros semblant presque afficher parfois un certain masochisme, alors que sa vie devient un enfer. Tout l’enjeu de l’histoire repose aussi sur sa possibilité d’apprendre enfin à dire non. Avec le risque de déplaire et de voir sa carrière prendre une tout autre direction.
Dans l’entourage de C.C. Baxter, on trouve néanmoins deux personnages positifs et éminemment sympathiques : Fran, liftière dans l’immeuble de la société – jouée par une Shirley MacLaine émouvante – dont Baxter va tomber amoureux et le voisin de l’employé aliéné : un médecin du nom de Dreyfuss – Jack Kruschen – un homme avisé et de bon conseil. Dans La Garçonnière, il est beaucoup question d’amour, amour véritable et sincère qui ferait presque renoncer à celle qu’on aime pour avoir la certitude de la voir heureuse. Il y a peu de personnes sincères, profondes, mais elles dégagent suffisamment de choses positives pour consoler, aider à vivre et à espérer. Et peut-être apprendre enfin à dire non.
Très réussi plastiquement, grâce à la photographie en noir et blanc de Joseph LaShelle et au travail du grand chef décorateur Alexandre Trauner, La Garçonnière n’a pas pris une ride et demeure l’un des sommets de la comédie américaine, une œuvre douce-amère sur la dignité retrouvée, à (re)découvrir en salle depuis le 28 août 2024.