DRESSÉ POUR TUER
Après s’être fait renverser par une voiture, un chien blanc, dressé pour attaquer les hommes de couleur, est recueilli par Julie, une jeune femme qui cherche à lui faire oublier la haine.
Critique du film
En 1969, l’écrivain Romain Gary avait écrit Chien blanc, un ouvrage dans lequel il relatait une histoire vécue par son épouse, l’actrice Jean Seberg : celle-ci avait recueilli un berger allemand, avant de s’apercevoir qu’il s’agissait de ce qui était alors appelé un « chien blanc ». C’est-à-dire un chien dressé pour attaquer et tuer les Afro-américains, à la suite d’un conditionnement bien spécifique. L’écrivain avait alors confié l’animal à un dresseur pour tenter de le déconditionner, le déprogrammer. Dressé pour tuer, antépénultième film de Samuel Fuller réalisé en 1982, constitue une très libre adaptation de cet ouvrage.
Samuel Fuller avait 70 ans à l’époque du tournage. Ce réalisateur et écrivain, vétéran de la seconde guerre mondiale en tant que soldat et reporter de guerre, ancien journaliste, était connu pour son franc-parler, son efficacité et sa vision très critique de son pays, les Etats-Unis. Cet esprit irrévérencieux, iconoclaste, lui valût bien des inimitiés et des critiques acerbes et souvent injustifiées, comme ce fut le cas d’ailleurs pour Dressé pour tuer.
Jeune comédienne débutante, le personnage de Julie Sawyer – joué par Kristy McNichol – renverse un chien avec sa voiture. Elle le recueille après l’avoir fait soigner. L’animal l’ayant vaillamment défendue quelque temps plus tard, alors qu’elle se faisait agresser chez elle de nuit, elle décide de l’adopter définitivement mais se rend vite compte que l’animal a été dressé pour s’attaquer aux personnes noires. Elle décide alors de le confier à des spécialistes du comportement animal afin de le sortir de cet engrenage. Keys et Carruthers – respectivement Paul Winfield et Burl Ives – vont alors tenter de déconditionner le chien.
Dressé pour tuer relate l’histoire d’un défi, celui de sortir de l’esprit conditionné d’un animal la haine et la violence raciste qu’on lui a implantées, qu’un cerveau malade humain a imposé à un chien pour assouvir ses instincts les plus bas. Ce challenge, dont on ne sait absolument pas s’il aboutira sur une réussite ou à un échec, force le respect et interroge à la fois : ne vaudrait-il pas mieux euthanasier le chien, afin de parer à tous les risques de récidive ? Julie connaîtra d’ailleurs des doutes et des revirements au cours de cette histoire. La vérité psychologique du film, sa description de personnages bien écrits, loin de tout manichéisme, tous ces éléments constitutifs de l’acuité du regard de Samuel Fuller font une des forces du film, mais n’ont pas toujours été compris. Le film a été très mal interprété à son époque, paradoxalement taxé de racisme et Paramount demanda à Samuel Fuller de refaire le montage, ce que le réalisateur refusa de faire et qui condamna Dressé pour tuer à ne jamais sortir aux Etats-Unis.
Accompagné par une bande originale d’Ennio Morricone qui signait pour cette occasion une partition tout en délicatesse, cette histoire est portée par de très bons interprètes – difficile d’oublier le regard puissant et marqué par la souffrance de Paul Winfield -, une réalisation qui alterne moments de grande sensibilité et effets chocs – les attaques de l’animal sont montrées assez crûment – et une thématique puissante. Dressé pour tuer a la beauté douloureuse des œuvres qui refusent l’idéalisme pour faire jaillir une vérité dérangeante mais qu’il est nécessaire de dévoiler.