NI CHAÎNES, NI MAÎTRES
1759, Isle de France (actuelle île Maurice). Massamba et Mati, esclaves dans la plantation d’Eugène Larcenet, vivent dans la peur et le labeur. Lui rêve que sa fille soit affranchie, elle de quitter l’enfer vert de la canne à sucre. Une nuit, elle s’enfuit. Madame La Victoire, célèbre chasseuse d’esclaves, est engagée pour la traquer. Massamba n’a d’autre choix que de s’évader à son tour. Par cet acte, il devient un « marron », un fugitif qui rompt à jamais avec l’ordre colonial.
Critique du film
D’origine béninoise par son père, profondément marqué par la vision de la Porte du Non-Retour sur le rivage de la ville côtière de Ouidah, qui était un lieu de départ pour les esclaves vers des pays lointains, le réalisateur Simon Moutaïrou portait ce projet depuis de nombreuses années.. C’est à l’occasion d’un séjour sur l’île Maurice qu’il découvre un haut lieu du marronnage, le Morne Brabant, un monolithe haut de 500 mètres. C’est alors que son projet de film sur le thème de l’esclavage a commencé à prendre forme.
Avant de passer derrière la caméra, Simon Moutaïrou a d’abord été le scénariste de plusieurs films depuis 2009, notamment de Braqueurs, Boîte noire ou Goliath. Sa première réalisation, Ni Chaînes, ni maîtres, tient autant du film d’auteur que du film d’aventure et d’action, au sens le plus noble du terme. La violence y est frontale mais jamais complaisante et les péripéties du scénario, les rebondissements ne sont pas gratuits mais servent le propos de l’auteur-réalisateur de ce long-métrage puissant par son mélange de réalisme et d’imprégnation mystique.
Dans cette œuvre très écrite, rien ne semble gratuit, les personnages s’avèrent complexes, très bien dessinés, et servent parfaitement un scénario intelligent et rejetant toute simplification. Son protagoniste principal est porté par Ibrahima Mbaye, l’un des plus grands acteurs du théâtre sénégalais, qui insuffle son jeu intense et son charisme puissant au personnage de Massamba, qui apparaît d’abord comme un esclave en apparence résigné et à qui ses maîtres ont confié la responsabilité de diriger ses frères de chaînes. Avec ce que cela implique de ressentiments de la part de ses compagnons d’infortune. Veuf, cet homme a fait le sacrifice d’une part de lui-même et de sa dignité par amour pour sa fille Mati qu’il se doit de protéger. Cette dernière, interprétée par Anna Diakhere Thiandoum – formidable jeune actrice débutante -, rêve d’échapper à cette prison et à ce destin infernal.
Du côté des esclavagistes, Camille Cottin et Benoît Magimel n’ont pas craint de se frotter à des rôles qui les font plonger dans des abysses de dureté, de cruauté et d’implacable conviction d’avoir raison, d’être dans son bon droit, même quand il s’agit de mutiler ou de tuer. Les deux comédiens font montre d’une très belle ambiguïté et d’une grande finesse, évitant le piège de la caricature ou du surjeu. Et dans un très beau rôle de jeune homme tiraillé entre la fidélité à son père et des valeurs humanistes, Félix Lefebvre livre également une très belle prestation. Soulignons enfin le travail remarquable du chef opérateur Antoine Sanier avec beaucoup d’ambiances sombres, des scènes magnifiées par une opposition entre l’ombre et la lumière.
Film engagé et politique, Ni Chaînes, ni maîtres s’avère riche thématiquement et instructif, sans tomber dans le didactisme. Divertissant et incitant à la réflexion, le film offre une leçon d’histoire mais aussi une belle fresque romanesque.
Bande-annonce
18 septembre 2024 – De Simon Moutaïrou, avec Ibrahima Mbaye Tchie, Camille Cottin, Anna Thiandoum