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RIVERBOOM

Un an après les attentats du 11 septembre, le photographe Claude Baechtold se laisse embarquer par deux reporters risque-tout dans un périple à travers l’Afghanistan en guerre. Avec sa caméra vidéo achetée sur place, il va capturer en images ce road trip…

Critique du film

Un journaliste rigoureux et rompu aux exigences du métier, un jeune photographe aussi optimiste que fougueux et un graphiste craintif qui se mue en cameraman inexpérimenté, voici le trio improbable aux côtés duquel on embarque dans un film complètement fou, une aventure hors-norme relatée en voix-off, avec panache et humour par l’un d’eux (Claude Baechtold, le graphiste craintif qui signe ici son premier film). 

Pour raconter son périple et retranscrire les sensations vécues lors d’une histoire rocambolesque vieille de 20 ans (les bandes ont été perdues, puis retrouvées deux décennies plus tard), le réalisateur délivre avec la matière dont il dispose un objet hybride, tant dans le fond que dans la forme. Ainsi, son récit utilise de multiples expérimentations plastiques (créées à partir d‘archives vidéo, photos, d’images numériques, argentiques, en couleur ou noir et blanc, de collages, séries, illustrations), faisant de Riverboom un film texturé, granuleux et sophistiqué, mais tout à fait approchable. Grâce à un montage et un procédé débordant de vie et de vitalité, on rit beaucoup tout en en prenant plein les yeux – ce qui au milieu d’une zone de guerre n’est pas un mince exploit. 

Là où une production plus imposante aurait prévu des plans en courte focale afin de capturer l’immensité et la beauté des paysages en plans larges, les conditions frugales de cette épopée n’offraient à ces images filmées que les proportions d’un caméscope DV premier prix. Loin de desservir le projet, cet aspect resserré se révèle bénéfique en renforçant involontairement la tension environnante et la fraternité qui règnent dans entre les trois protagonistes.

Beaucoup d’éléments de ce documentaire s’avèrent d’ailleurs « involontaires », ou obtenus « sans faire exprès ». C’est là le charme de cette entreprise ayant tout d’une ode à l’imprévu, comme celui qui envoie au débotté deux des protagonistes en Afghanistan et leur fait croiser la route d’un troisième larron qui parachèvera la formation de ce trio de choc. Noyau soudé autour duquel le film s’articule, la relation de ces trois personnages et la manière dont elle prend vie sous nos yeux a quelque chose de fascinant. La conjonction de leurs tempéraments, si différents mais tellement complémentaires, qui aurait sonné faux dans une œuvre de fiction, illumine par son alchimie et, in fine, rend ce trio invincible. 

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Riverboom est un film qui a finalement été tourné sans le savoir et qui, à ce titre, se joue de toute ambition, calcul ou stratégie. Son aspect fortuit prouve que dans la vie, il est possible de réussir là où on pensait avoir échoué et inversement, à condition de posséder comme Serge, Paolo et Claude, la bonne formule mélangeant chance, malchance, jugeote et débrouille.

Par sa forme aux contours initialement un peu flous, le film se retrouve à explorer plus d’un thème. Sans être réduit à l’un ou l’autre de ces concepts, il est tour à tour un carnet de voyages, un récit d’aventures, le film-souvenir d’un voyage entre potes, comme ceux qu’on peut retrouver sur de vieilles cassettes chez nos parents après des années. Il n’est pas non plus un « film de journalisme » à proprement parler, à l’instar des Hommes du Président ou de Spotlight, alors qu’il en montre pourtant d’indéniables composantes (opiniâtreté, hésitation sur l’angle à adopter, inconscience des risques encourus…). Idem pour le qualificatif « documentaire de guerre » qui tomberait là aussi un peu à côté, bien que même sur ce point ils ont réussi en se plaçant à bonne distance de leur sujet pour capter à un instant T une réalité nuancée et bien éloignée de ce qu’on l’habitude de voir : celle d’un Afghanistan sublime, énergique et plein d’espoir malgré le conflit naissant.

Bien que l’on soit dans un registre comique assumé, la légèreté – qui est le fil conducteur de ce récit bourré d’humanité – laisse place, le temps d’une épiphanie vécue par le réalisateur en personne, à une séquence d’émotion intense et sincère, stabilisant ce joyeux chaos et lui donnant du sens. Il nous vient alors une réflexion de Michael Cimino (auteur de Voyage au bout de l’enfer) qui affirmait « [qu’] avant de faire pleurer le public, il faut d’abord l’avoir fait rire ». Cette théorie prend du relief dans le scénario de Claude Baechtold qui, après nous avoir amusé pendant plus d’une heure, s’épanche sur un pan traumatisant de son existence et comment il est parvenu à le surpasser grâce à cette folle expérience et à ses comparses, devenus à ce stade des amis indéfectibles. Et c’est à la lumière de ce passage à la fois personnel et généreux qu’apparaît la meilleure manière de cataloguer Riverboom, si tant est qu’on doive le faire : un grand film réjouissant sur l’amitié et le pouvoir qu’elle engendre.

Bande-annonce

25 septembre 2024 – De et avec Claude Baechtold et Paolo WoodsSerge Michel