FAMILIAR TOUCH
La transition d’une octogénaire vers la vie en résidence assistée.
Critique du film
Les premières minutes de Familiar touch, premier long-métrage de la cinéaste étasunienne Sarah Friedland, sont aussi déroutantes que cohérentes en terme d’écriture. On y découvre Ruth, une octogénaire qui se prépare à accueillir un invité, entre la préparation d’un déjeuner convivial et une joie de vivre palpable. Les gestes sont précis dans l’élaboration du plat, l’aneth est finement ciselé, et sa tenue est soignée et choisie avec soin. Pourtant, cette ambiance légère cache un moment d’une gravité certaine pour cette femme qui cache derrière son sourire une fin de vie compliquée et la nécessité d’amorcer une migration vers un établissement médicalisé, qu’elle a elle-même choisi avec son fils Steve. Si sa condition mentale ne lui permet plus de vivre seule, Ruth est étonnante de vivacité et de pugnacité.
C’est le premier trait majeur de cette histoire : bien que diminuée et nécessitant une aide au quotidien, cette femme n’est pas montrée ni regardée par l’autrice comme malade. Plus fort encore, la tonalité du film n’est pas celle d’un drame à la musique surchargée d’émotions, la proposition de cinéma choisie est définie dès ses premières scènes s’engageant vers d’autres directions bien plus intéressantes. Familiar touch rayonne de dignité et cet aspect solaire a pour point d’origine cette magnifique actrice qu’est Kathleen Chalfant. À chaque fois qu’elle emprunte des chemins narratifs éculés sur la thématique de la fin de vie, son interprétation surprend le spectateur en faisant un pas de côté inattendu, que ce soit par un acte, un geste ou une parole d’une sagesse confondante.
Ruth est remplie du paradoxe de cette mémoire qui ne cesse de se jouer d’elle, fonctionnant par cercles, précise et impérieuse sur certaines strates de sa vie, parcellaire pour d’autres, disparue enfin comme pour l’identité de ce fils qui la conduit dans la maison de retraite. Si tout n’est pas maitrisé dans le rythme du film, c’est bien peu de choses en comparaison des nombreuses réussites opérées par Sarah Friedland. De nombreuses scènes reviennent en mémoire, mais on pourrait citer cette merveille d’espièglerie dans la cuisine au moment du petit-déjeuner, où le personnage rappelle qu’elle a été une excellente cuisinière publiée, mais également un moment de danse où la tendresse vient poindre là où on ne l’attendait plus.
La cinéaste est brillante en ce qu’elle refuse de rythmer ces moments par des intervalles qui seraient des rappels trop cinglants à la condition mentale de Ruth. Plutôt que d’asséner au spectateur des pics émotionnels gonflés d’une charge émotionnelle trop attendue et factice, elle préfère garder son cap qui peut se résumer dans la lumière qui habite le regard de Ruth, même dans ses plus grands moments de défiance. Bien consciente de devoir passer ses dernières années loin de sa maison et ses biens matériels, elle ne cède pas à des excès comportementaux trop évidents. Même le passage obligé de la fugue est vidée de ses clichés, pour n’en garder que l’essentiel, l’acceptation d’une nouvelle condition douloureuse mais nécessaire.
Sarah Friedland réalise un premier film d’une grande sensibilité qui a conquis la dernière Mostra de Venise, remportant le Lion d’argent du futur, équivalent de la Caméra d’or couronnant le meilleur premier film, toutes compétitions confondues. Kathleen Chalfant et sa magistrale prestation ont été également récompensés par un prix d’interprétation vénitien, au sein d’une compétition Orrizzonti relevée où Familiar touch s’est imposé par sa force tranquille, la puissance de son regard et la classe de cette jeune autrice qui a de plus le mérite de dédier son prix aux victimes palestiniennes, preuve d’un courage politique remarquable dès ses premiers pas comme metteur en scène.
De Sarah Friedland, avec Kathleen Chalfant, Katelyn Nacon, Carolyn Michelle Smith