STÉPHANE CHEVALIER | Interview
À l’occasion de la sortie vidéo du film Stay hungry, nous avons pu rencontrer Stéphane Chevalier qui vient de lancer (avec Rania Griffete) une nouvelle aventure : BUBBELPOP. L’apparition d’un nouvel éditeur sur le marché de la vidéo constitue toujours un défi et un événement. Stéphane Chevalier a déjà beaucoup travaillé sur l’éditorial dans le domaine de la vidéo, notamment chez Wild Side – sur des westerns – et chez Rimini. Durant près d’une heure, nous avons pu évoquer le film de Bob Rafelson, mais aussi les questions du support physique et de la transmission avec ce passionné d’histoire et de cinéma.
LBDM : Quelle est votre entrée en cinéphilie ? Avez-vous un film choc ou un souvenir marquant par rapport au cinéma ?
Stéphane Chevalier : J’aurais tendance à dire qu’il y a deux choses dans mon enfance relatives à cette cinéphilie : Errol Flynn avec Les Aventures de Robin des Bois, qui a formaté mon approche du cinéma. Et j’ai gardé cette approche juvénile, bondissante et joyeuse du cinéma d’Errol Flynn et de Michael Curtiz : c’est un moment de détente et d’aventures. Même si ce sont des paillettes, si ce n’est pas la réalité, il y a un optimisme qui fait un bien fou et qui a formaté mon prisme. Et le deuxième événement plus psychologique, qui a agi plus en profondeur, c’est la rencontre avec Sergio Leone et Ennio Morricone. C’est quelque chose qui m’a complètement formaté. Je ne peux pas percevoir un film sans faire attention à la musique.
Capricci vient justement de rééditer l’ouvrage de Noël Simsolo sur Sergio Leone.
J’ai découvert ce livre en 1989 ou 1990. Ce livre de Noël Simsolo est très important. Avec cette formidable anecdote : Sergio Leone sort d’un grand restaurant et va manger un kebab. Quand Noël Simsolo lui demande pourquoi il fait ça, le réalisateur lui a répondu : « Pour ne jamais oublier que j’ai été pauvre et que j’ai eu faim. » Il faut toujours se souvenir d’où l’on vient. C’est très beau, très puissant. Superbe livre effectivement. Nous sommes dans une période où on perd ses repères, où la notion du bien et du mal est un peu galvaudée, et je garde cette image de Sergio Leone : un homme lucide sur l’histoire. C’était aussi un personnage homérique.
Quand avez-vous découvert Stay hungry ? C’est un film assez rare, pas le plus diffusé de Bob Rafelson.
Depuis deux ans, on avait décidé de se lancer dans l’édition vidéo et le premier catalogue qu’on a consulté c’est celui des titres disponibles de la MGM, avec 1400 titres et tout était écrit en anglais. Je consulte la liste et je tombe sur ce film de Bob Rafelson et je montre le listing à Franck de Video Popcorn, qui me conseille Stay hungry et me dit de le regarder. Je découvre le film et je vois pour le première fois Arnold Schwarzenegger dans un rôle de composition. Ce n’est pas le meilleur des acteurs, mais il prend son rôle à cœur. Il se donne à fond et on a envie d’y croire. C’est ce que m’a dit Joanna Cassidy. C’est un acteur intelligent, brillant et qui a la modestie des grands. Et puis il y a la patte de Bob Rafelson. Donc, on s’est dit on va y aller.
Arnold Schwarzenegger avait joué dans Le Privé de Robert Altman (un tout petit rôle), mais là c’est son premier grand rôle et in était une véritable révélation. Son personnage est touchant par sa vulnérabilité et il est d’un grand naturel. Et c’est lui qui éveille le personnage de Jeff Bridges.
Exactement, c’est un très beau film sociologiquement parlant. Il y aussi RJ Armstrong, qui joue le patron du club. Il est de Birmingham, Alabama. Il est de cette région et tenait absolument à jouer dans le film. Il a joué avec les plus grands, notamment Sam Peckinpah. RJ Armstrong était fier de sa région et qu’on montre que celle-ci avait un nouveau visage, était en pleine mutation. C’est une vitrine pour cette ville en 1976. Le film parle des mutations de la société et quand on le revoit cinquante ans après, on se rend compte qu’il y a un basculement de la société bourgeoise et le film a maladroitement ou pas, intelligemment ou pas – c’est au libre arbitre de chacun – cristallisé cette époque et ce basculement.
N’y a-t-il pas une métaphore sur le Nouvel Hollywood dans Stay hungry ? Cette opposition entre tradition et émergence d’une nouvelle vision des choses ?
En 1976, le Nouvel Hollywood est déjà en train de dire au revoir, c’était un mouvement très éphémère, très rapide. L’intelligence de Bob Rafelson, c’est qu’il a lu le livre de Charles Gaines : Ronald Reagan n’est pas encore arrivé mais il y a une nouvelle ère qui arrive. On est dans un nouveau modèle américain, le culte du corps devient un phénomène de société.
Qu’est ce qui faisait la force du cinéma de Bob Rafelson ?
Le Nouvel Hollywood, c’est un peu l’équivalent de la Nouvelle Vague en France. C’est un cinéma réaliste. En 1976, les studios ont perdu la bataille et la télévision a gagné. On a compris que faire des films à grand spectacle risque de ruiner les studios. Il y a eu le mouvement hippie et une réflexion sur la société. Il y a eu la guerre du Vietnam qui a secoué violemment la société américaine, la divisant. Bob Rafelson a l’intelligence, dans cette société clivée, de raconter l’histoire de simples individus. Dans Five easy pieces, avec Jack Nicholson, Bob Rafelson raconte l’histoire d’un américain issu d’une famille aisée qui choisit de revenir à l’essentiel : il travaille comme ouvrier, boit des canettes de bière. On a une préoccupation sociale dans le cinéma du Nouvel Hollywood. Et c’est ce qui en fait la beauté. Les années 1970 aux Etats-Unis, c’est la fin de la politique de Roosevelt. Avec Keynes, Roosevelt avait créé, après la crise de 1929, un modèle social qui était en faillite au moment du Nouvel Hollywood.
Vous avez été étudiant en histoire ? Cette formation a-t-elle beaucoup influencé votre vision du cinéma ?
Oui, énormément. Etant jeune, j’ai toujours aimé l’histoire et le cinéma sans les dissocier. J’ai fait des études d’histoire et quand j’ai eu ma licence, je me suis rendu compte que je ne voulais pas être enseignant toute ma vie. J’ai donc fait de la vidéo, car j’aime la vidéo, l’image. Un des réalisateurs que j’ai beaucoup aimés étant enfant était Richard Fleischer. Il avait une grande sensibilité pour la psychologie, la psychanalyse. Quand il a fait le choix de la mise en scène de cinéma, il a gardé sa passion pour la psychanalyse. J’ai gardé de mon côté cette passion pour l’histoire. J’aime les grandes fresques historiques, comme les péplums.
Quand vous avez un moment de déprime, vous mettez un film avec Audrey Hepburn et ça va tout de suite beaucoup mieux…
La notion de transmission est importante pour vous, j’imagine ? Le livret accompagnant le film s’avère très instructif, revenant sur l’histoire de la ville de Birmingham, Alabama, sur la genèse du film…Quels sont pour vous les passeurs d’aujourd’hui ?
Vaste question. La transmission est bien sûr importante. Avec Sergio Leone, dont on parlait, il y a transmission. Il y a un côté opéra, mais aussi ce refus du manichéisme. Les bons ne sont pas aussi bons que ça et le personnage de Tuco est touchant. Ce que dit Leone est intéressant. Il est facile de faire la morale quand on ne meurt pas de faim. C’est plus compliqué quand on doit mettre ses valeurs dans sa poche pour avoir un toit, ou manger. Pas de jugement de la part de Leone. Il faut désacraliser. Le cinéma a cette vertu de transmettre un message, un souvenir ou une histoire. Sergio Sollima m’avait dit pour Le Dernier face à face que ce qui l’avait passionné dans son film, c’était ce basculement des personnages, un brigand et un intellectuel qui évoluent de façon inattendue et subtile. Un type simple peut avoir un geste héroïque et une personne qu’on croyait noble peut se comporter comme le pire des lâches. Qui peut transmettre ce genre de message ?
Pour citer des passeurs, je pourrais nommer par exemple Michel Cieutat ou Jacques Demange. Là, je redécouvre Looking for Mr Goodbar de Richard Brooks. L’histoire d’une femme qui s’interroge sur sa sexualité, c’est un thème moderne surtout à cette époque, mais vue par un vétéran du cinéma hollywoodien. C’est là que l’apport de journalistes comme Jean-Baptiste Thoret, Samuel Blumenfeld ou Jacques Demange est crucial. Ils vous rappellent la nécessité de vous replonger dans le contexte de l’époque.
Quel a été votre rapport à la vidéo, au support physique en tant que cinéphile ?
C’est très simple, j’ai 53 ans. Dans les années 1980, je regardais après le judo les films de Tarzan. Il n’y avait que trois chaînes. La télévision ne diffusait pas vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Avec la 5 de Berlusconi, on découvrait des westerns spaghetti, des films rarement diffusés, voire inédits. La VHS à l’époque permettait de découvrir, malgré une qualité d’images très médiocre. Et puis il y avait le côté collection. Quand le DVD est sorti, c’était très important, une véritable révolution, avec une très belle qualité d’images. On sortait des VHS, à l’image déplorable, mais très chères. Et la VHS proposait juste le film. Quand le DVD de Lawrence d’Arabie est sorti, c’était un événement. Maintenant, je pense que lorsqu’on attend un film en vidéo, on espère une édition avec une analyse complète. C’est ce qu’on a voulu faire avec Stay hungry. On revient sur le contexte du film. Avec de beaux suppléments, comme l’entretien avec Joanna Cassidy.
Est-ce que l’avenir du support physique passe forcément par des éditions collector ? La réédition du film, sans accompagnement est plus risquée ?
Comme pour le vinyle, on voit un véritable attachement au support physique, une véritable résistance. Ça restera un marché de niches, mais on ne sait pas de quoi demain est fait. Il y a toujours des rebondissements et l’homme a un attachement pour l’objet. Ça fait partie de la nature humaine. Le marché de la vidéo s’adresse en priorité à des collectionneurs. Pas uniquement des cinéphiles. Il faut de la qualité pour l’objet physique et le contenu, les suppléments et ça représente un coût véritable.
Dans environ un mois, on va sortir Recherche Susan désespérément. En avril, on sortira Requiem for a dream en Blu-Ray 4K Ultra HD.
As-tu eu un coup de cœur récemment pour un film revu en vidéo ?
J’ai revu la version du Bounty par Roger Donaldson, réalisée en 1984. Avec Mel Gibson, un acteur que j’aime beaucoup, mais aussi Anthony Hopkins, Liam Neeson et Laurence Olivier. Dans ce genre de films, je vois des passations de générations, et puis il y a la musique de Vangelis et ça m’a fait une petite claque. Faire un film qui se passait au XVIIIe siècle avec une musique synthétique, il fallait oser. C’était aussi une période expérimentale, on testait, on explorait. Ce n’est pas un grand film mais Roger Donaldson avait eu l’intelligence de cristalliser une époque. Le film propose des interrogations sur la planète, le rapport à la nature, l’écologie et le comportement de l’homme occidental. C’était l’époque où les tribus amazoniennes venaient à la télévision pour alerter l’opinion. C’est un film qui mérite d’être revu. Mais ce n’est pas le seul.
En ce moment, je revisite la filmographie d’Audrey Hepburn. Elle était fabuleuse. Quand vous avez un moment de déprime, vous mettez un film avec Audrey Hepburn et ça va tout de suite beaucoup mieux… Quand on voit Diamants sur canapé, il fallait oser à l’époque faire ce qu’elle a fait. Jouer le rôle d’une prostituée, avec l’image qu’elle avait, c’était prendre un risque pour sa carrière. Et puis Vacances romaines, c’est un hymne à l’amour, une très belle histoire entre deux acteurs. Grégory Peck est tombé amoureux de l’actrice qu’était Audrey Hepburn et a compris la carrière qu’elle pouvait faire.
Quelles sont les prochaines sorties de Bubble Pop ?
Dans environ un mois, on va sortir Recherche Susan désespérément. Nous sommes allés rencontrer la réalisatrice du film, Susan Seidelman à New York et Rosanna Arquette à Hollywood. Ce film est devenu une rareté, une pépite. Ce film cristallise un New York qu’on ne reverra jamais. Une ville qui a connu une parenthèse enchantée de deux ou trois ans, durant laquelle le saltimbanque peut croiser le businessman. Où un étudiant peut encore vivre à Manhattan. Ce film est à redécouvrir et il y a un casting fabuleux : John Turturro, Will Patton dans un rôle de psychopathe, Aidan Quinn. Et comme le dit Pacôme Thiellement, ce qui est beau dans ce film c’est que ces deux jeunes femmes qui sont en quête de leur liberté n’attendent qu’une seule chose de leurs compagnons : c’est qu’ils soient gentils. Pas besoin d’être riches, beaux ou parfaits. En avril, on sortira Requiem for a dream en Blu-Ray 4K Ultra HD. Et en juin, le documentaire In bed with Madonna, avec un double vinyle d’un concert. Ensuite deux westerns : La Vie, l’amour, les vaches et El Magnifico.