WALLACE ET GROMIT : LA PALME DE LA VENGEANCE
Gromit s’inquiète du fait que Wallace soit devenu trop dépendant de ses inventions, après sa création d’un gnome intelligent…
Critique du film
« Désolé que ça ait pris autant de temps » lançait Nick Park aux spectateurs lors de la projection du film au Forum des Images. Presque quinze ans se sont en effet écoulés depuis la dernière production d’Aardman Animations consacrée au duo Wallace et Gromit, vingt ans si l’on remonte au long-métrage où les compères affrontaient un lapin-garou. Bien que ce hiatus n’ait pas entravé la passation de cette série phare du studio britannique d’une génération à l’autre (en témoignait le public de l’avant-première où tous les âges coexistaient), le fait qu’il arrive à son terme aujourd’hui est symptomatique de la santé créatrice d’Aardman et de Nick Park, vraisemblablement émoussée par l’échec commercial de Cro-Man. La Palme de la vengeance est ainsi la troisième suite d’un précédent succès du studio, après celle de Shaun le mouton et celle de Chicken Run, et montre en toute transparence son intention de remettre une pièce dans la vieille machine.
Chaque réveil étant synonyme pour le duo d’une nouvelle aventure, comme une partie de jeu-vidéo relancée, le récit commence logiquement par la sortie du lit et le petit-déjeuner de Wallace et Gromit, aidés par le déploiement d’une multitude d’appareils et d’inventions absurdes pour faciliter les tâches harassantes du matin. Première série de gags donc, mais aussi première expression du modèle antérieur qui hante le film : le court-métrage Un mauvais pantalon, dont La Palme de la vengeance prolonge l’histoire. Si le film s’arrange pour que le spectateur suive son intrigue en toute autonomie, il emboîte clairement le pas de son aîné, ou plutôt en propose une complète émulation du point de vue structurel. La séquence du lever reprend le même déroulé, la même fonction narrative et les mêmes ressorts humoristiques que son référent afin de mettre en scène une ouverture que l’on constate comme désormais « traditionnelle » dans les aventures du duo. Ce geste initial scelle le positionnement de l’œuvre et se traduit, au cours du récit, par un complet réinvestissement d’Un mauvais pantalon : La Palme de la vengeance n’en est pas seulement la suite, mais aussi le remake, puisqu’il en reproduit le schéma de l’intrigue et des péripéties (de la mise au ban de Gromit jusqu’à la course-poursuite finale avec l’antagoniste, où Wallace se retrouve tracté comme un boulet), étendues sur une heure et demi.
Si évolution il y a dans cette nouvelle aventure de Wallace et Gromit au regard des précédentes, c’est dans son rapport à son propre héritage. Chacun des films antérieurs avait pour ambition de bâtir quelque chose de nouveau sur le plan formel ou technique : on se souvient de l’impressionnant défilement de l’arrière-plan lors de la course-poursuite sur le train dans Un mauvais pantalon, de la relation entre matières liquides, matières dures et matières spongieuses dans Rasé de près, ou encore du grand nombre de personnages humains du Mystère du lapin-garou qui permettait de tisser des intrigues beaucoup plus complexes et justifiait le format et les moyens du long-métrage.
Qu’est-ce que La Palme de la vengeance propose vis-à-vis de ce passé ? La question ne s’est visiblement pas posée, au moment de la production, dans le sens de l’exploration, mais plutôt dans celui de l’inspiration, dans le fait de puiser dans ce qui avait fonctionné et marqué les esprits. Le film pose ainsi sur chaque action, chaque gag, un double regard : ce que cet élément est au sein de ce nouveau métrage, et ce qu’il a été dans les précédents. La démarche n’est pas critique – elle relève plutôt d’un appel du pied à la bienveillante nostalgie du spectateur – mais a le mérite d’être ludique : chaque gag, connu à l’avance, trouve le moyen de se poser autrement, en changeant sa chute ou en intervenant dans un autre contexte, constituant à l’échelle du film une grande opération de réagencement.
Néanmoins, ce grand sur-place, ce « more of the same » recherché par le film, rend compte de la nette cassure dans la manière d’envisager le long-métrage de divertissement : « Wallace et Gromit », comme beaucoup d’autres noms, se pense désormais comme une franchise, avec un univers à référencer, des codes à respecter et un public à brosser dans le sens du poil. Le stade est certes moins terminal que dans d’autres productions, mais que faut-il penser de la défense d’Aardman d’une animation faite à la main, qui laisse les empreintes digitales apparentes sur les marionnettes, quand de l’autre côté la précision du montage et l’esprit anglais qui caractérisent le studio sont au service d’une œuvre trop aimable, trop polie, trop frileuse pour vraiment s’éloigner de ce qui a déjà été fait ?
Dans La Palme de la vengeance, le cauchemar de Gromit commence lorsque son espace de création (le jardin) transformé de manière automatisée (industrielle) en lieu carré et aseptisé que les voisins viennent applaudir (un jardin à la française). Timide commentaire sur la situation actuelle du long-métrage d’animation, et vestige peut-être d’une précédente version de l’histoire, plus acide. Car ici, le film soulève le sujet pour ne jamais y revenir, et préfère s’entêter à singer habilement ses modèles. C’est dans les vieux pots qu’on fait la meilleure soupe, d’accord, mais pour combien de temps encore ?
Bande-annonce
3 janvier 2025 (Netflix) – De Nick Park, Merlin Crossingham