HIROSHI OKUYAMA | Interview
Deux jours après la présentation de son film My Sunshine au festival de Cannes, dans la section Un Certain Regard, que nous avons pu rencontrer le réalisateur japonais de 28 ans, Hiroshi Okuyama. L’occasion d’évoquer sa relation artistique avec Kore-eda, la façon dont il a imaginé ce récit comme un conte onirique et les éléments qu’il souhaitait distiller au spectateur pour se projeter dans l’histoire. Une pépite à découvrir en salle dès le 25 décembre.
Comment avez-vous vécu la présentation de votre film, chargée d’émotions pour vous et vos jeunes comédiens ?
Hiroshi Okuyama : Le jour de la projection, je dirais que le sentiment qui a dominé c’est le soulagement, d’en être arrivé là et que le film soit montré ici, dans ces conditions-là. Comme je voulais que les spectateurs écoutent la chanson à l’origine du film, nous sommes restés assis. Quand les lumières se sont rallumées, j’ai vu que la salle était encore remplie et ce fut un deuxième soulagement. J’ai ressenti une certaine plénitude.
Le réalisateur Hirokazu Kore-eda était présent à la projection. Nous aurions souhaité savoir s’il a été un soutien ou un mentor pour vous… Et s’il vous a fait un retour suite à la projection ?
Monsieur Kore-eda est une présence très importante, il m’apprend énormément. Je ne peux pas me réclamer comme son disciple, il a lui-même des assistants qui travaillent auprès de lui et sont directement sous sa tutelle. C’est quelqu’un pour qui j’ai énormément de respect et avec qui j’ai eu l’occasion de collaborer à plusieurs reprises, notamment sur une série Netflix, Makanai. J’ai pu le voir à l’oeuvre. Il m’apprend beaucoup sur la mise en scène et me donne des conseils. Il m’a beaucoup guidé pour profiter de l’expérience du festival de Cannes qui peut donner beaucoup de visibilité à un film.
Il ne m’a pas directement aidé pour My sunshine. D’une certaine manière, j’avais besoin de travailler seul et de m’émanciper de son aide. Mais pendant le tournage, il nous a fait livrer des déjeuners et c’était sa contribution amicale à ce projet. Suite à la projection, il m’a fait quelques retours. Quand j’étais encore étudiant, il me faisait énormément de compliments. Ça a changé depuis que je réalise des films, mais je sais que je vais pouvoir mettre à profit ses remarques pour mes prochains films.
Votre film est à hauteur d’enfant et vous dites aimer écrit à partir de vos souvenirs. Qu’est-ce que cette histoire et vos personnages ont de commun avec vous ?
Il y a un élément très proche de mon enfance : moi aussi j’ai appris le patinage artistique. C’est une discipline que j’ai pratiquée pendant 7 ans, que je connais et que j’avais envie de mettre en scène. Toutes les situations auxquelles est confronté Takuya sont fictives et ont été imaginées pour le film. Cela dit, à chaque fois qu’on imagine le destin de chaque personne, ce ne sont que des projections de celui que je suis. Toutes ces émotions sont forcément le reflet de moi.
On ressent votre amour pour cette discipline, avec une grâce qui se dégage par le biais des jeux de lumière et du flou… Ce sont des instants à part.
Dès le début du projet, j’avais envie de faire quelque chose qui se rapproche d’un conte, d’une fable onirique. J’aime cette idée que l’on puisse injecter une dose de fantastique dans la réalité. Moi-même en tant que spectateur, quand je vois quelque chose de trop réaliste, je peux avoir des difficultés à m’identifier et me laisser à distance. Alors qu’en injectant une petite dose de fantaisie, cela me happe davantage et c’est ce que j’avais envie de faire. Je souhaitais qu’ils soient happés par cet univers plus onirique pour accéder à quelque chose de plus essentiel, de plus authentique, avec un message plus subliminal et en même temps fondamental.
My sunshine est un peu l’anti-Billy Elliot, qui est très réaliste et jalonné d’épreuves personnelles pour pratiquer, de façon stéréotypé, la danse qui est considérée comme un sport genré, et qui trouve une résolution sur la fin. Dans votre film, la réalité vient rattraper vos personnages sur la fin avec la question de l’homophobie…
Ce sujet s’est imposé à moi. Les liens se nouent entre mes trois personnages parce qu’ils ressentent tous les trois une forme d’exclusion et se sentent un peu à l’écart de la société. Pour moi Takuya, ce sera le bégaiement, pour l’entraineur ce sera son homosexualité et pour la jeune fille, même si rien n’est explicité, on a le sentiment que son père est absent. Ils ont chacun des blessures, des failles, et inconsciemment ils sont très attirés les uns par les autres parce qu’ils ressentent la détresse entre eux. C’est en imaginant la dynamique entre ces personnages que cela s’est imposé.
La jeune Sakura est peut-être le personnage qui reste le plus mystérieux… On ne dispose que de peu d’éléments sur son histoire. On ressent toutefois une certaine pression maternelle, avec des attentes de réussite. Etait-ce une volonté de conserver cette part de mystère autour de ce personnage ?
Par rapport au fait que Sakura soit assez taciturne, lorsqu’on voit sa réaction quand elle apprend l’homosexualité de son entraîneur, j’avais envie que cela ait un impact assez fort. Le fait qu’elle ne parle que très peu et que soudainement elle ne puisse s’empêcher de livrer son sentiment à ce moment-là, cela créé un malaise supplémentaire.
De manière générale, j’essaie de ne pas être trop explicatif. Pour les trois personnages, je ne donne que peu d’éléments. On ne sait pas pourquoi la figure du père est absente. Nous avions tourné beaucoup plus de choses que ce que j’ai gardé à l’issue du montage, parce que je me suis dit que les explications n’étaient pas forcément nécessaires. Trop en dire empêchait le spectateur de faire travailler son imagination et j’avais envie de leur laisser cet espace-là. Je n’aime pas imposer les choses.
Entretien réalisé le 21 mai 2024 au Festival de Cannes