UN PARFAIT INCONNU
New York, début des années 60. Au cœur de l’effervescente scène musicale et culturelle de l’époque, un énigmatique jeune homme de 19 ans arrive dans le West Village depuis son Minnesota natal, avec sa guitare et un talent hors normes qui changeront à jamais le cours de la musique américaine. Alors qu’il noue d’intimes relations durant son ascension vers la gloire, il finit par se sentir étouffé par le mouvement folk et, refusant d’être mis dans une case, fait un choix controversé qui aura des répercussions à l’échelle mondiale…
Critique du film
Bob Dylan est un artiste qu’il est difficile de réduire à une seule expression tant son ambition est de déborder sur tout le champ des possibles. Musicien, il a construit sa renommée sur un perpétuel renouvellement, ponctuant son chemin de métamorphoses qui ont pu intriguer, voire irriter ses fans de la première heure. Son rapport au cinéma est également de cet ordre : il a pu s’essayer au métier de comédien, dans des films comme Pat Garrett et le Kid de Sam Peckinpah (1973), ou Hearts of Fire de Richard Marquand (1987). Mais c’est également comme sujet de d’œuvres de fiction qu’il continue de hanter le 7ème art, que ce soit par le biais de documentaires, l’excellent No Direction Home de Martin Scorsese, ou plus récemment dans I’m not There de Todd Haynes (2007), film composite où l’on voit se succéder plusieurs acteurs reprenant ses traits, dont une fascinante Cate Blanchett.
Un parfait inconnu est le premier véritable « biopic » sur Dylan, ces films biographiques qui sont bien souvent des lignes droites égrenant les années sans grande originalité ni ambition artistique, constituant des objets plats résumant une vie comme une banale illustration Wikipédia. L’intérêt de ce nouveau projet vient de l’identité du réalisateur, James Mangold, qui avait brillé dans l’exercice il y a tout juste vingt ans, avec Walk the Line. Joaquin Phoenix y incarnait un Johnny Cash passionnant, interprétant lui-même les si belles chansons de l’homme en noir. Comme un symbole, on retrouve Cash dans Un Parfait inconnu, au milieu de figures légendaires comme Pete Seeger, Joan Baez ou Woody Guthrie. C’est d’ailleurs avec ce mythe de la musique populaire étasunienne que commence le film, dans l’hôpital où il finit ses jours, rongé par la maladie d’Huntington.
La première très bonne idée de Mangold et ses deux co-scénaristes, Jay Cocks et Elijah Wald, est de resserrer l’histoire entre 1962 et 1965, qui correspondent aux premiers succès de Dylan, de son arrivée à New-York à la veille de la sortie de Highway 61 revisited, le 30 août 1965. Cette période féconde montre un homme écrivant sans cesse et, déjà, se recomposant inlassablement, ne supportant pas d’être résumé à un style, dans une versatilité qu’il cultive comme un art. Cette première période, où Dylan devient l’idole de la musique folk aux Etats-Unis, est aussi celle d’un engagement politique fort et signifiant autour des droits civiques des minorités raciales, avec les décès successifs de Martin Luther King et de Malcolm X. Au beau milieu de tous ces événements réels et historiques, James Mangold n’oublie pas de créer de la fiction, et de nourrir une certaine idée du cinéma proche de Dylan lui-même.
Le cinéaste nous livre très rapidement un fait bouleversant : Bob Dylan est un menteur né, une illusion créée de toute pièce, son propre nom n’existant pas, Robert Zimmerman demeurant un inconnu pour ses amis les plus intimes. C’est ici que surgit la bonne idée, créer au sein de ce magma de mensonge le personnage de Sylvie, merveilleuse Elle Fanning, qui pourrait être la petite amie du chanteur aperçue sur la pochette de The Freewheelin’ Bob Dylan, comme elle pourrait être la somme de toutes celles qu’il a pu croiser dans son intimité pendant la période. Par son entremise, on aperçoit la veulerie de Dylan, ses mauvais comportements vis-à-vis des femmes, qui s’exprime également face à Joan Baez qu’il traite avec un mépris inouï durant tout le film.
Sylvie représente les moments de doute de celui qui ne s’appartient plus, qui ne peut plus aller écouter de la musique dans un bar sans risquer une bagarre ou un scandale. Mangold, par son entremise, encapsule toute la fragilité du personnage, sans oublier de le remettre face à ses contradictions et ses failles, comme un enfant qui a grandi trop vite et ne veut pas jouer avec les règles du monde qui l’entoure. Les autres moments de grâce du film sont à trouver dans ces scènes où Dylan joue, comme dans cette émission de télévision où il retrouve un bluesman lui prêtant sa guitare, la musique prenant tout à coup toute la place.
Il faut dire enfin un mot sur Timothée Chalamet, acteur principal, producteur exécutif et cœur du projet. Il semble trouver ici plus de substance et sève que dans bien de ses précédents films (Dune, Bones and all), ceci en réussissant à faire oublier son identité pour nous offrir 2h20 en compagnie de Bob Dylan, figure spectrale insaisissable et métaphore d’une musique libre qui refuse toutes les étiquettes. Toujours vivant et en tournée perpétuelle, pour reprendre le nom de son « Neverending tour » commencé en 1988, Dylan est plus que jamais un objet de fascination qui transcende la musique, quand bien même il a participé à en faire l’une des voix majeures de l’americana, âme du peuple d’un pays qui se définissait alors par une errance sans fin.
Bande-annonce
29 janvier 2025 – De James Mangold, avec Timothée Chalamet, Elle Fanning et Edward Norton.