featured_nicole-garcia

NICOLE GARCIA | Interview

Nicole Garcia passe la semaine à Angers. L’actrice et réalisatrice préside le jury de la 37e édition du festival Premiers Plans, où elle aura la tâche, aux côtés de Nadia Tereszkiewicz, Anna Novion et Boris Lojkine, de choisir le meilleur long métrage parmi une compétition de dix premiers films européens. Au lendemain matin de son arrivée, nous l’avons retrouvée pour échanger autour de ce rôle et parler cinéma.

Attendez-vous d’un premier film la même chose que d’un deuxième ou dixième film ?

Nicole Garcia : Oui. Enfin, je dis « oui » de manière un peu volontaire, mais je n’attends rien. C’est ce qui est bien dans un jury : on n’attend rien, on regarde ! On sait que ce sont des premiers films, mais on ne donne pas pour autant une excuse parce que ce sont des premiers films. C’est surtout une grande chance de voir le premier geste d’une cinéaste. Le second film sera là pour confirmer, mais un premier film est une sorte de pari magnifique. Quand on voit Les Quatre Cents Coups de François Truffaut – puisque le cinéma d’Angers porte son nom – il y a tout à coup quelque chose qui surgit d’un grand cinéaste. Voir un premier film, c’est un pari que l’on fait sur la découverte de quelqu’un.

Le scénario a été mon passeport, c’est par lui que je me suis donnée à moi-même la légitimité de devenir cinéaste.

Vous avez participé à de nombreux jurys, notamment celui de la Caméra d’or à Cannes qui récompense un premier film, comme à Angers. Si vous acceptez ce rôle de jurée, est-ce pour nourrir votre créativité ou bien par pur plaisir de spectatrice ?

Par plaisir de cinéma. Et pour sortir de mes propres obsessions de travail, pour aller voir ailleurs. Aller voir ailleurs si j’y suis !

Le fait de visionner beaucoup de films en peu de temps peut faire ressortir l’originalité d’un scénario en même temps que des points communs entre chacun. Est-ce qu’il y a selon vous des interdits de scénario ? Comment se renouveler dans cette forme d’écriture ?

On peut tout se permettre, mais l’écriture de scénario est tellement difficile… J’aimerais bien écrire plus vite. J’envie les metteurs en scène qui font un film par an. Je mets tellement de temps… Pourquoi ? Je me pose la question en ce moment. Un scénario est important alors que c’est l’interprétation de ce scénario à l’image qui compte, c’est pour ça que j’ai tort de passer tant de temps sur un scénario… Mais le scénario a été mon passeport, c’est par lui que je me suis donnée à moi-même la légitimité de devenir cinéaste.

L’écriture n’est pas un moment de plaisir ?

C’en est un quand on sent qu’on accède à quelque chose, quand on trouve, mais c’est aussi beaucoup d’interrogations… Je suis en ce moment en préparation d’un film dont le scénario a connu un chemin très long. Il ne faut pas le dire. C’est comme quand on fabrique quelque chose, dans tout domaine. Quand les couturiers font une robe, ils ne disent pas à quel point cela a été long et difficile !

Parmi vos toutes premières fois au cinéma, il y a un petit rôle très inattendu : vous jouez une scène avec Louis de Funès dans Le Gendarme se marie (Jean Girault, 1968). Comment cela s’est-il passé ?

C’était en 1968, il y avait la grève partout. J’étais allée chez mes parents qui étaient rentrés d’Algérie et habitaient à Nice. Le Conservatoire était fermé, tout était fermé. Louis de Funès, qui n’était pas de gauche, ne voulait pas faire la grève et tournait à Saint-Tropez. Un directeur de casting a dit : « Je crois qu’il y a une élève du Conservatoire qui habite Nice, elle doit être chez ses parents. » Ils m’ont appelé et je suis venue faire cette petite scène, dans laquelle je devais demander à de Funès d’enlever mon PV. Ça n’a pas été le début de quelque chose, ce n’était pas une première marche, mais maintenant les gens s’en souviennent. Dans les émissions les plus intellectuelles, les plus profondes, on me ressort Le Gendarme se marie, c’est une petite scène qui me poursuit !

Quel souvenir avez-vous des premiers films que vous avez vus ? Dans votre enfance à Oran, en Algérie, comment aviez-vous accès au cinéma ?

Dans les années 1960, à Oran, il y avait un cinéma avec un ciné-club très actif. J’avais un oncle et une tante qui y allaient souvent. C’est comme ça que j’ai découvert Hitchcock. Je devais avoir dix ou douze ans quand j’ai vu Psychose, j’étais très effrayée. J’ai vu d’autres films comme Les Tricheurs de Marcel Carné. En Algérie, les gens étaient très avides de cinéma. Au théâtre, on voyait moins de choses passionnantes, pendant des matinées scolaires. Je n’ai eu aucune révélation pendant ces matinées, je chahutais comme toute la classe et je n’écoutais pas, alors que c’est pourtant au théâtre que je me suis d’abord destinée.

Nicole Garcia

Le cinéma était-il important dans la vie de vos parents ?

Pour mes parents, pas tellement. Ma mère était quelqu’un d’assez austère et mélancolique, et mon père avait un commerce, il travaillait beaucoup. Mais je me souviens être allée seule avec lui voir un film qui s’appelait Les Canons de Navarone, avec Gregory Peck [réalisé par J. Lee Thompson, sorti en 1961]. Il y avait des attentats à l’époque à Oran, et à un moment donné, on nous a fait sortir de la salle parce qu’il y avait une menace d’attentat. En revanche, mes oncles et mes tantes allaient souvent au cinéma, ils en parlaient. En vacances, ils lisaient les Match sur lesquels on voyait des photos de Kim Novak, Brigitte Bardot, Martine Carol, Marilyn Monroe, Liz Taylor… Je me souviens que mes tantes aimaient les actrices. Elles étaient elles-mêmes très coquettes, comme l’étaient souvent les femmes en Algérie, avec les ongles peints.

Je me souviens que mes tantes aimaient les actrices. Cet amour qu’elles avaient pour elles m’a peut-être guidé vers l’idée de devenir moi-même une actrice.

Seraient-elles à l’origine de votre amour pour les comédien-ne-s ?

Je ne sais pas si elles me l’ont transmis, je crois que je l’ai davantage acquis en étant actrice… Mais effectivement, cet amour qu’elles avaient pour les actrices m’a peut-être guidé vers l’idée de devenir moi-même une actrice. Je n’avais jamais fait le lien. Je pensais que j’avais voulu à 13 ans être une actrice et que ce désir avait surgi de nulle part. Effectivement, c’est possible qu’elles m’aient fait un chemin.

Comment apprend-on à parler aux comédien-ne-s ?

Je me suis beaucoup servie, pour ma direction d’acteur, d’être une actrice moi-même. Comme l’a dit Nathalie Baye : « On se comprend, on est du bâtiment. » Je sais comment je peux aider les acteurs à se débarrasser de certaines choses, ou à les emmener sur les chemins du personnage. J’ai connu des grands metteurs en scène qui n’étaient pas du tout acteurs, comme Alain Resnais [pour Mon Oncle d’Amérique, en 1980]. Son scénario et ses dialogues étaient si forts, la manière dont il nous plaçait était tellement juste qu’il ne disait rien d’autre. Sans aller jusqu’à dire les dialogues qui leur appartiennent, je parle aux acteurs et je mime des choses.

Qui sont les cinéastes qui ont su le mieux vous parler ?

Je pense à Alain Resnais pour sa liberté. Un jour, il avait préparé une scène dans laquelle, prise de colère, je devais casser des choses dans une chambre. L’accessoiriste avait préparé des objets à moitié cassés qu’on pouvait remettre en place pour la prise suivante. J’ai dit à Alain Resnais : « Dans une circonstance comme celle-ci, je resterais complètement inhibée. Je ne casserais rien, je serais tétanisée. » Il m’a dit : « Très bien, faites-le comme ça. » C’était un de mes premiers grands rôles, et quelle liberté ! En tant que réalisatrice, je serais désarçonnée si j’avais préparé une scène et que l’acteur me disait qu’il voulait la jouer autrement… En tout cas, je me souhaite la même disponibilité qu’avait Resnais.

Cela révèle chez lui une immense confiance ?

Une confiance en lui-même, d’abord, en son scénario qui peut supporter ce changement. Et puis une confiance et un goût dans ce que l’acteur propose. Un amour, en fait, de ce qu’apporte un acteur.

Quand vous réalisez un film, comme ce sera bientôt le cas pour votre dixième long métrage, avez-vous toujours la même peur de l’inconnu ?

Oui, la même peur. Elle est même plus grande, ce qui est embêtant ! C’est comme si l’expérience n’était pas grand chose. Comme si c’était toujours un premier film, comme à Premiers Plans. On n’en finit pas de faire un premier film.


Propos recueillis par Victorien Daoût le 21 janvier 2025, à Angers.
Remerciements : Mathis Elion et André-Paul Ricci | © Photo portrait Premiers Plans