CANNES 2025 | Sélection : la carte de l’éclectisme et de la diversité internationale
Comme chaque année, l’organisation du Festival de Cannes aura savamment gardé jusqu’au bout le suspense sur l’identité des œuvres qui composeront sa sélection. Ce sont finalement pas moins de 19 films en lice pour la Palme d’Or qui ont été annoncés par Thierry Fremaux lors de la traditionnelle conférence de presse, tenue à l’UGC Montparnasse à Paris. Une nouvelle fois, le Festival semble vouloir jouer la carte de l’éclectisme total, non seulement en termes de diversité des nationalités représentées, mais aussi en mettant en lumière des sensibilités d’auteur·rice·s aux univers radicalement différents les uns des autres.
Figure emblématique du cinéma iranien et fer de lance de la lutte contre l’oppression sévissant dans pays natal, Jafar Panahi foulera le tapis rouge, 30 ans après avoir reçu la caméra d’or pour Le Ballon blanc. La venue du cinéaste sur la croisette sera sans nul doute un moment d’émotion particulier, Jafar Panahi ayant subi pendant de nombreuses années plusieurs incarcérations et l’interdiction de quitter l’Iran. Une situation qui l’avait empêché de recevoir en mains propres le Prix du Scénario pour Trois Visages en 2018. Pour le moment, le mystère reste entier quant à la nature de son nouveau long-métrage intitulé Un simple accident. Avec un titre aussi évocateur, il n’est pas difficile d’imaginer de la part du réalisateur un ton acerbe dans la droite lignée du reste de sa filmographie…
Autre personnalité toute aussi engagée, Tarik Saleh présentera Les aigles de la République, trois ans après avoir reçu le Prix du Scénario pour La conspiration du Caire. À la lecture de son synopsis, on décèle aisément une envie du réalisateur de s’intéresser de nouveau aux ressorts politiques et corruptifs qui gangrènent la société égyptienne. Fares Fares y campera un acteur contraint d’incarner le Président égyptien dans un biopic hagiographique. Cette position va entrainer son personnage dans les arcanes du pouvoir en place et devrait rapidement mettre à mal son intégrité morale. À noter la présence au casting de l’actrice franco-algérienne Lyna Khoudri.
Parmi la multitude d’auteurs aguerris et habitués des festivals, il est toujours passionnant que des nouvelles voix du cinéma mondial puisse émerger au sein de la compétition et bénéficier d’un tel coup de projecteur. C’est le cas de l’allemande Mascha Schillinski, sélectionnée en compétition pour son second long-métrage, Sound of Falling. Présenté comme une fresque s’étalant sur plus d’un siècle, ce film semble traduire une ambition formelle et narrative très forte puisqu’il racontera au fil du temps le parcours de quatre femmes issues de générations différentes, et vivant ensemble dans la même ferme.
Bien qu’il ne soit pas le nom le plus connu de cette sélection, le cinéaste sud-africain Oliver Hermanus n’est pour autant pas étranger au Festival de Cannes. Passé par Un Certain Regard en 2011 avec Skoonheid pour lequel il avait reçu la Queer Palm, le réalisateur connait sa première incursion en compétition avec officielle avec The History of Sound. Adapté du court roman éponyme de Ben Shattuck, cette romance gay sur fond de Première Guerre Mondiale a été définie par son réalisateur comme « un voyage à travers l’Amérique, au fil du XXème siècle et des traditions de la musique folk américaine, le tout raconté par le lien entre deux hommes immergés dans l’histoire du son ». Il réunit pour cette épopée deux des acteurs les plus talentueux et bankables du moment, Josh O’Connor et Paul Mescal.
En trois films, Ari Aster s’est imposé comme l’un des cinéastes américains les plus passionnants de ces dix dernières années. Capable de transcender le genre horrifique avec Hérédité et Midsommar, sa singularité s’est affirmée avec l’expérimental et radical Beau is afraid. Son premier passage à Cannes sera l’occasion pour lui de défendre Eddington pour lequel il retrouve Joaquin Phoenix. A l’instar de Dogville de Lars Von Trier, la ville qui sert de titre au film accueillera un couple tombé en panne d’essence avant que tout ne bascule au cauchemar. Un pitch qui a de quoi intriguer, d’autant que Thierry Fremaux a confirmé que le film se veut une étude « de ce que les Etats-Unis sont devenus à travers une campagne municipale d’une petite ville ».
Souvent cantonné aux circuits cinéphiles restreints, le cinéma de Kelly Reichardt continue de gagner au fil des années une reconnaissance critique et publique hautement méritées. En 2021, la « papesse » du cinéma indépendant américain avait même réussi l’exploit de rassembler plus de 100 000 spectateurs français avec le sublime First Cow. Son film suivant, le minimaliste Showing up avait eu du mal à trouver sa place au sein de la compétition cannoise 2022, pas aidé par une présentation le dernier jour. On ne peut qu’espérer un accueil plus massif pour Mastermind, où la réalisatrice suivra un braqueur dans le milieu de l’art, pour ce qui s’apparente à une « revisite du petit film policier des années 70 ».
Annoncé pour une sortie sur les écrans français dans la foulée du festival, The Phoenician Scheme permettra à Wes Anderson un retour en compétition après The French Dispatch (2021) et Asteroid City (2023). La première bande-annonce disponible promet une nouvelle immersion, sans équivoque, dans l’univers si particulier du cinéaste. Il y sera question d’une famille dysfonctionnelle – thématique chère à son auteur – empêtrée dans une histoire d’espionnage. De l’aveu même du réalisateur, le ton du film sera plus sombre qu’à l’accoutumée, mais réunira, comme il est d’usage chez Wes Anderson, la moitié des acteur.ice.s hollywoodien.ne.s.
En 2021, la remise de la Palme d’Or à Titane avait énormément surpris. Le geste avait été (légitimement) perçu par beaucoup comme le sacre d’un certain type de cinéma le plus souvent mésestimé par les institutions. Le jury présidé par Spike Lee avait souhaité récompenser Julia Ducournau pour sa proposition de genre radicale, bizarroïde et foutraque. Quatre ans plus tard et quelques passages derrière la caméra pour des séries de prestige, la réalisatrice semble vouloir se renouveler – tant thématiquement que formellement – avec Alpha. Dans une ville fictive des années 80 inspirée de New York, le film s’intéressera à une jeune fille de 11 ans confrontée à l’épidémie du Sida dont est victime l’un de ses parents. La nature même du sujet au cœur d’Alpha devrait faire vivre aux spectateur une expérience, à minima, aussi intense que celle de Titane et Grave.
Auréolé du succès de La nuit du 12, qui aura terminé sa carrière à plus de 500 000 entrées et sept César, Dominik Moll refait équipe avec Gilles Marchand (au scénario) pour raconter une nouvelle affaire policière en prise avec le réel. Après s’être penchés sur la question des féminicides et de leur traitement sociétal et judiciaire, il sera question dans Dossier 137 de violences policières. Léa Drucker y tiendra le premier rôle en tant qu’enquêtrice à l’IGPN, chargée de déterminer la responsabilité des forces de l’ordre dans une manifestation ayant dégénéré. Un sujet ô combien actuel dont on espère qu’il bénéficiera de la même finesse de traitement que dans le précédent film du duo Moll / Marchand.