ENEMY
Adam, un professeur discret, mène une vie paisible avec sa fiancée Mary. Un jour qu’il découvre son sosie parfait en la personne d’Anthony, un acteur fantasque, il ressent un trouble profond. Il commence alors à observer à distance la vie de cet homme et de sa mystérieuse femme enceinte. Puis Adam se met à imaginer les plus stupéfiants scénarios… pour lui et pour son propre couple.
Mon double, mes femmes et moi
Variation sur le thème du double, Enemy nous présente un professeur d’Histoire au terne quotidien, qui s’ennuie à la faculté comme auprès de sa petite amie. Adam Bell, on le devine, rêve de changer de vie. Jusqu’à ce qu’il découvre l’existence d’Anthony St Claire, acteur de son état, et son sosie parfait. Fasciné par cette troublante ressemblance, Adam voudra rencontrer Anthony à tout prix.
Denis Villeneuve tenait là une bonne idée, l’occasion de jouer sur le désir d’une vie transformée, autour de deux « jumeaux » qui échangeraient leurs identités. Mais hélas, si le film est estampillé « thriller fantastique, » il n’est ni palpitant ni magique. Tout demeure très plat, la photographie est grise ou jaunâtre, les acteurs semblent s’ennuyer (tout comme le spectateur) même si Jake Gillenhaal fait tous les efforts possibles pour rendre crédible ce duo de sosies. Le scénario est étrange et abscons, de l’introduction pseudo-angoissante au dernier plan absurde. Il y a apparemment un mystère à percer dans Enemy, mais il tombe à plat. Si la photographie et la trame peuvent parfois rappeler Le Prestige, le film de Villeneuve n’égale pas celui de Christopher Nolan.
Dans la plupart des films évoquant le thème du double (voir mon analyse détaillée), il y a trois issues possibles : qu’il s’agisse de la même personne (schizophrénie,) de jumeaux ou, dans la SF récente, de clones. Or, rien n’est expliqué sur la ressemblance des deux protagonistes et leur destin tourne court. On peut vaguement pencher pour la schizophrénie (une des pistes d’interprétation avancées), vu l’envie de cet homme de se débarrasser d’un « lui » qu’il déteste – à l’instar du narrateur dans Fight Club. L’affiche canadienne de Enemy peut éventuellement nous éclairer quant à la signification du film : d‘après l’image, tout se déroulerait dans l’esprit d’Adam / Anthony. Il est également possible qu’Adam ait un sosie. Le destin funeste d’Anthony permettrait à Adam de changer de vie, et d’adopter celle d’un acteur bohème, et bientôt père. Enfin se pose la question de la double vie. Cela expliquerait la colère de Mélanie Laurent en découvrant la marque de l’alliance sur l’annulaire d’Anthony : son compagnon serait marié à une autre, enceinte de lui, et l’aurait prise comme maîtresse.
Malheureusement, on attend pendant une heure trente qu’il se passe quelque chose, une scène-clé, une fin qui dévoilerait le pourquoi de l’intrigue, mais rien ne vient. D’autres films ont une fin indécidable – et sont bien meilleurs, notamment Inception ou Shutter Island – aux interprétations multiples jubilatoires. On en est loin dans Enemy, qui ne cesse de se contredire. Surtout, pendant le film, on s’ennuie ferme. On peut aussi se demander si le film de Villeneuve, qui ne voit que des femmes-araignées, n’est pas résolument misogyne.
Reste le charme des femmes, justement, Mélanie Laurent et Sarah Gadon. Cette dernière a l’habitude de jouer dans des films à l’interprétation ouverte, puisqu’elle est l’une des muses de Cronenberg. Elle jouait notamment dans Cosmopolis, autre film à déchiffrer, et plus récemment dans Maps to the Stars. À noter, la performance convaincante d’Isabella Rossellini (fille de Roberto Rossellini et Ingrid Bergman) dans le rôle de la mère d’Adam. Il existe de nombreux autres films sur le double qui sont fascinants, drôles, ou instructifs. Vous pouvez aller voir Enemy, cependant, pour goûter au plaisir de l’interprétation multiple.
Marla