ANDREA BESCOND & ERIC METAYER | Entretien (suite)
Découvrez la suite de notre entretien avec Andrea Bescond et Eric Metayer, les réalisateurs et scénaristes du film Les chatouilles, disponible en DVD chez Orange Studio à partir du 14 mars. Dans cette deuxième et dernière partie, il est question de l’influence du film sur la nouvelle version de la pièce, du passage de flambeau à une autre comédienne, des récompenses aux César 2019, de la position du spectateur vis à vis de ce récit éprouvant, du message véhiculé et de la nécessité d’illustrer le besoin de parler de l’emprise des prédateurs sexuels sur leurs victimes (adultes ou enfants), mais aussi du tabou autour de la violence conjugale qui conduit un trop grand nombre de femmes à succomber sous les coups de leur conjoint…
Vous parliez d’évolution pour la pièce. Le film a-t-il nourri la reprise du spectacle ? Au niveau du jeu, du travail ?
Andréa : Je crois que oui, c’est en cours !
Éric : Au niveau du jeu, oui, parce qu’Andréa a commencé à nous jouer le spectacle cinématographiquement… À partir du moment où elle a eu les micros HF, on est obligé de projeter un peu plus et c’est difficile de retracer le cheminement… Mais à partir du moment où vous pouvez vous permettre de parler beaucoup plus bas…
Andréa : Tant que je faisais des petites et moyennes salles, je n’avais pas de petit micro. Ensuite, je commençais à faire des grosses salles. Quand je dis « grosses salles », ça reste un spectacle intime. Le plus important a été le théâtre du Châtelet, 2400 personnes… ça reste une grande salle !
Éric : C’est pas du café-théâtre ! C’est un Grand Point Virgule (rires) !
Andréa : Voilà, c’est ça (rires) ! Pour du théâtre, de l’intime, ça reste une grande salle. J’ai un petit micro comme ça mais ça me permettait de structurer le jeu différemment, évidemment c’est une autre couleur et c’est une autre palette.
Et quand nos acteurs, que ce soit Karine Viard, Pierre Deladonchamps ou Clovis Cornillac, ont repris les rôles, je me suis énormément imprégnée de leur façon de dire, de faire, d’être et du coup ça s’est répercuté sur mes personnages, sur la façon dont je les jouais, après le tournage. J’ai dû faire 75 représentations où j’étais vraiment imprégnée de leur travail, c’était super !
Le César de l’adaptation est très représentatif de toutes ces années de travail sur ce traumatisme et sur la façon dont on l’a transformé artistiquement.
Pour la nouvelle actrice, Déborah Moreau, qui reprend le rôle, ce fut dans ce prolongement ? Ou avez-vous décidé de faire une rupture dans le jeu ?
Éric : Non, sur des reprises de rôles, on a souvent le même système : on va d’abord demander au comédien de refaire exactement ce que l’autre fait, avant de commencer à se l’approprier. Parce qu’on se sécurise en ayant la même chose et puis après on le laisse nager un peu différemment, donner sa couleur à l’oeuvre. Mais, au départ, on a préféré la cadrer complètement dans ce qu’on faisait d’habitude.
Andréa : Après, elle et moi on a déjà un truc commun à la base, il y a une sororité artistique, il y a une puissance physique, il y a une voix… Elle est un peu plus haut mais il y a un truc commun. Aujourd’hui, on la libère de mon « emprise ». Je lui ai dit : « Moi c’est bon, je ne joue plus, c’est à toi, on t’en fait le cadeau, tu te l’appropries, surtout, il faut que tu te l’appropries » ! C’est en train de se faire et c’est magique de la voir devenir tous ces personnages, c’est vraiment très très émouvant !
C’est une belle continuité !
Éric : Oui, oui ! Il y a un vrai passage de flambeau…
Éric : On clôture cette histoire, comme on disait avec Andréa. Un Molière pour le théâtre et un César pour cinéma, on est contents !
Andréa : Et puis c’est vrai que le César de l’adaptation est très représentatif de toutes ces années de travail sur ce traumatisme et sur la façon dont on l’a transformé artistiquement donc c’est une récompense très forte symboliquement !
Éric : Et puis ça met encore un peu plus de lumière sur le sujet et ça…
Cela donne une visibilité.
Éric : A chaque fois ça donne une visibilité ! A chaque fois qu’il y a un truc qui se passe, il y a une visibilité. La reprise du spectacle à Avignon, c’est une visibilité, la sortie en DVD c’est une visibilité… Longue vie à la visibilité des Chatouilles !
La pédo-criminalité est bien trop peu évoquée… Quelque part, malheureusement, les gens imaginent assez simplement ce qu’est un viol, alors que ça ne l’est pas… Par contre, comment le cheminement qu’il y a eu pour que la victime se retrouve à ne pas parler.
Le film nous place dans une position de témoin. Quelque part, quand on sort de la salle, on se sent dans le devoir de transmettre un relais. Il y avait vraiment cette nécessité de transmission ?
Andréa : Oui, on voulait évidemment que le public se sente totalement concerné, qu’il n’y ait pas cette distance… Après, on joue avec les codes du cinéma. La psy tenait un peu le rôle du public et vice-versa. C’est pour ça qu’on l’amène dans les souvenirs et qu’elle a parfois ces réactions qui pourraient s’apparenter à celles du public finalement, c’est là où parfois on voulait désamorcer l’état du public : le spectateur voit que la psy elle aussi en chie quoi (rires) ! Il se dit « c’est normal, elle aussi, c’est bon, je peux respirer, pfiou, ça va mieux ! » (rires)
Comme on est témoin, il y a une véritable gravité et pourtant c’est un récit très pudique…
Andréa : Oui, parce qu’on parle beaucoup de la manipulation. On voulait parler de la manipulation surtout au-delà des viols et de l’aspect physique et de l’atteinte directe à l’intégrité physique et sexuelle. C’est toute l’atteinte psychologique déjà. Comment un adulte va avoir une emprise sur un enfant et assister à ça ! Et évidemment, c’est terrible parce qu’on aurait envie de dire mais « Qu’est-ce que tu fais, pourquoi tu dis ça ? » et « Arrête ! » et d’intervenir. Mais c’est aussi pour pousser les gens à parler de ces violences, de ces manipulations afin de pouvoir mieux communiquer autour de ça ! Faire de la prévention.
Éric : La pédo-criminalité est bien trop peu évoquée… Quelque part, malheureusement, les gens imaginent assez simplement ce qu’est un viol, alors que ça ne l’est pas… Par contre, comment le cheminement qu’il y a eu pour que la victime se retrouve à ne pas parler, comment la victime va se retrouver à ouvrir une porte et à y aller… Mais les gens ne se rendent pas compte de l’emprise qu’un prédateur sexuel peut avoir sur sa victime, c’est ça qu’on voulait mettre en avant. C’est ce parcours là dont on voulait le plus parler !
Andréa : Les gens sont encore dans la caricature, ils pensent que les violences sexuelles sont accompagnées de violences physiques, ce qui est loin d’être le cas, dans 99% des cas. Au contraire, l’agresseur est extrêmement doux, dans sa façon d’amener sa proie, en fait, à ce qu’il veut et c’est ça qui est terrible, et c’est ça qui engendre la culpabilité chez la victime et c’est ça qui fait qu’il y a toute cette perte d’amour propre parce qu’on se dit : « Mais comment, ai-je pu ne pas réagir ? » Alors, que c’est normal, l’emprise de l’adulte est beaucoup trop forte pour que l’enfant réagisse. C’est à l’adulte d’être responsable, pas à l’enfant mais voilà… C’est tout ça qu’on voulait amener dans ce film. Et porter ce regard sur ça.
Que ce soit pour la pédo-criminalité, que ce soit sur les droits de la femme, enfin plutôt la violence faite aux femmes, on pourra faire tout un arsenal de lois… mais les lois tout ça, c’est après !
Je voulais avoir juste un dernier petit mot sur la Journée internationale des droits des femmes qui, symbolique, tombe aujourd’hui, où nous faisons cette interview. On a pu constater votre engagement, sur Instagram notamment.
Andréa : Oui, moi je suis un peu désespérée là, je vous avoue. On en est déjà au 30e féminicide cette année et on est le 8 mars. Trente femmes qui meurent sous les coups de leur conjoint ou d’hommes… Peu importe. Je trouve ça sidérant, et si la parole se libère, tant mieux ! Il faut libérer la parole. Il faut porter plainte. Il faut être entendu. Il faut prévenir, faire de la prévention et voir comment on éduque nos enfants contre ces violences, comment on fait pour éradiquer ça surtout, parce que c’est bien joli une journée mais…
Éric : Que ce soit pour la pédo-criminalité, que ce soit sur les droits de la femme, enfin plutôt la violence faite aux femmes, on pourra faire tout un arsenal de lois… mais les lois tout ça, c’est après !
Andréa : C’est du curatif !
Éric : C’est du curatif, oui. Il faudrait que ça s’arrête avant. Donc est-ce que c’est à l’école… Je pense que c’est à l’école que les choses doivent se passer, dans la prime enfance, avec une prise des consciences des parents, de comprendre ce que c’est qu’être parent, des choses que les enfants n’ont pas à subir, des rapports de couple qui ne doivent pas être reproduits… C’est là que ça doit se passer. Mais tant qu’on fera une Journée des droits de la femme en disant qu’il faut que ça s’arrête et faire des tribunaux et puis des grandes affiches pour dire qu’on ne veut plus qu’une femme soit frappée… Non. Le problème est en amont, bien en amont. C’est là qu’il faut travailler. Donc je suis sceptique…
Andréa : C’est encore très tabou.