ARIANE ASCARIDE | Interview
Après un rendez-vous manqué à Montélimar, Ariane Ascaride nous avait promis de se rendre disponible pour un entretien téléphonique. Deux échanges de mail et dix jours plus tard, elle tenait parole. On ne pouvait pas commencer l’interview de manière plus indélicate, elle en a aimablement plaisanté avant de parcourir, avec la flamme qui la caractérise, son actualité mais aussi ses inquiétudes sur la situation de la culture et quelques souvenirs. Rencontre avec une femme entière.
Le Bleu du Miroir : Vous étiez la marraine de la 10e édition du Festival De l’écrit à l’écran, vous jouez dans le premier film de Maxime Roy (Les héroïques), j’ai l’impression que vous êtes à une étape de votre vie où vous prenez du plaisir à accompagner les projets ?
Ariane Ascaride : Vous voulez dire que je suis vieille !
(protestation embarrassée)
Oui c’est vrai, je suis vieille. Il se trouve qu’à un moment donné, on a des responsabilités à prendre. En tout cas, moi je l’entends comme ça. Si ma présence peut aider un festival, pas obligatoirement pour avoir plus de monde mais lui donner un peu plus de visibilité, si un film avec Richard Bohringer ou moi, gagne en crédibilité auprès des institutions comme le CNC, je crois qu’il faut le faire.
Je ne suis pas charitable, je le fais parce que j’y trouve un intérêt. Me retrouver à Montélimar devant 800 gamins pour une lecture de L’Étranger de Camus, ça me conforte dans l’idée que l’on devrait faire beaucoup plus de choses pour la jeunesse, lui transmettre des textes, éveiller sa curiosité. On sert à ça. Arrive un moment où il faut redonner ce qu’on nous a donné. Enfin moi, on m’a pas donné grand-chose. Robert et moi, on s’est battus tous seuls. Je n’ai ni aigreur, ni rancoeur. Au contraire, je suis extrêmement fière de ce que nous avons accompli. Nous avons fait contre mauvaise fortune bon coeur et les choses se sont retournées d’une très bonne manière. La transmission est d’autant plus importante aujourd’hui que tout le secteur culturel est en danger. Les gens ont perdu l’habitude d’aller au cinéma, au théâtre ou au concert. Après deux ans de pénurie, les gens perdent tout simplement l’habitude. C’est un tsunami qui a effacé la culture.
Les Héroïques m’a rappelé que l’autofiction n’est pas réservé à la littérature. Le film est inspiré de la vie de l’acteur principal, François Créton, il est empreint d’une très grande sincérité.
Oui, j’ai vu dans le scénario quelque chose de très authentique. Mais c’est surtout Maxime qui m’a plu. Il porte un lui un monde, une vision qui m’ont attirée. Il montre la banlieue sous un angle original. Les personnages n’ont rien de spectaculaire. Depuis une quinzaine d’année, il y a eu assez souvent quelque chose de spectaculaire, j’irais presque jusqu’à dire d’un peu folklorique, dans le manière de filmer la banlieue. J’ai adoré la façon qu’il a eu de filmer des personnages invisibles.
François Créton est crédité au scénario, ça n’a jamais été votre cas pour les films de Robert Guédiguian…
… Perdu ! J’ai écrit avec Robert le scénario du Voyage en Arménie.
Au temps pour moi. Je pensais plus généralement à votre contribution en tant que comédienne très impliquée.
Guédiguian dit toujours que ses acteurs sont des auteurs, c’est vrai. Que ce soit, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Anaïs Demoustier ou moi, par notre physique, par notre manière de jouer et notre manière de penser, on apporte le personnage.
Les gens ont perdu l’habitude d’aller au cinéma, au théâtre ou au concert. Après deux ans de pénurie, les gens perdent tout simplement l’habitude. C’est un tsunami qui a effacé la culture.
Recevez-vous davantage de scénarios originaux ou issus d’adaptations ?
Laissez-moi réfléchir, c’est une bonne question mais c’est une colle. Très peu d’adaptations, très très peu. La seule qui me vient à l’esprit, c’est À la place du coeur de Robert, tiré de Si Beale Street pouvait parler de James Baldwin.
Dans Une force et une consolation, le livre de conversation que vous avez fait paraître avec Véronique Olmi, vous évoquez longuement votre parcours de lectrice et particulièrement la mémoire des livres, en tant qu’objets, à laquelle vous êtes sensible. Le cinéma véhicule davantage une mémoire immatérielle, êtes-vous attachée au support DVD ?
Je suis vraiment très archaïque, je préfère aller au Champollion pour voir un vieux film. Mais je préfère le DVD à la VOD.
Vous les rangez selon un classement spécifique vos DVD ?
Non, pas du tout, je suis un tout petit peu bordélique. Je n’ai pas une âme de collectionneuse. Pas du tout. Mis à part les éléphants ! Mais je suis fascinée par les cinéphiles qui collectionnent les DVD ou les revues de cinéma. Je trouve ça formidable, ils constituent des bibliothèques à eux tout seul. On peut aller leur demander des références et on sait qu’ils répondront. J’adore quand mes amis me sortent la perle rare que je cherche. Je ne vais pas chercher sur internet. Ce qui m’intéresse d’abord, c’est le lien.
Je voudrais vous lire un court extrait de L’Événement, le livre d’Annie Ernaux qu’Audrey Diwan vient d’adapter. « Si beaucoup de romans évoquaient un avortement, ils ne fournissaient pas de détails sur la façon dont cela s’était exactement passé ». Pensez-vous que la littérature nous apprend à vivre ?
J’ai surtout appris dans les livres qu’il y avait d’autres vies que la mienne. C’était très réconfortant, comme une exploration. Et de temps en temps, je trouvais des choses qui me correspondaient, ça nourrissait ma réflexion d’enfant sur mon rapport au monde en plus de m’aider à combattre une forme de solitude.
Vous avez monté le spectacle Paris retrouvé à la Scala, pouvez-vous nous parler du projet et de son origine ?
Nous voulions faire résonner, en lecture, en chanson, en musique, la parole des auteurs qui ont écrit sur cette ville qui est en train de se transformer en musée. C’est aussi une manière de tendre la main aux spectateurs et de leur dire : « venez, on va passer un moment ensemble ». J’ai l’impression que pour faire revenir les gens dans les salles de spectacle, il faut reprendre tout depuis le départ. Il faut réapprendre aux spectateurs à marcher. L’idée m’est venue pendant la période du couvre-feu, avenue Wagram, au mois de février. J’étais en avance à un rendez-vous, il pleuvait, il faisait froid et je ne savais pas où me mettre. Plus personne ne flânait dans les rues. Je suis rentrée chez moi, j’ai écrit un texte et appelé des amies qui se désespéraient de ne pouvoir jouer la pièce de Simon Abkarian (Le Dernier jour du jeûne, ndlr). Ensemble on a cherché des textes et on a bu des coups.
Je trouve que les comédiens d’aujourd’hui sont tellement compassés, petits bourgeois. Il avait une démesure que plus personne n’a, à part Gérard Depardieu.
Vous avez d’abord jouer le spectacle dans les kiosques des jardins de Paris
À partir de fin juin, oui, mais auparavant on a joué dans les bibliothèques de Paris, grâce à Marie Desplechin qui en est Présidente. C’était formidable, il y a eu tout de suite beaucoup de monde. Et puis Frédéric Biessy, le directeur de La Scala, a accepté d’accueillir le spectacle dans son théâtre.
Dernière question, vous avez commencé au cinéma dans La Communion solennelle de René Féret, réalisateur que je trouve injustement oublié aujourd’hui. Voulez-vous évoquer le souvenir que vous en avez ?
J’ai découvert René au théâtre, c’était quelqu’un de très rigolo. Quand on est monté à Paris avec Guédiguian, René tournait Histoire de Paul pour lequel il a reçu le Prix Jean Vigo. J’étais étudiante en sociologie à la Sorbonne mais on est devenus très proches, René, son épouse, Robert et moi. Quand il a commencé la préparation de La Communion solennelle, il m’a demandé de faire un travail sur la vie des mineurs du XIXe siècle jusqu’au début du XXe siècle. Quand je lui ai rendu mon travail il m’a dit qu’il n’avait pas de quoi me payer mais m’a proposé de jouer dans le film. Voilà comment j’ai fait, pour la première fois de ma vie, du cinéma.
Prs la suite, vous n’avez plus retourné avec lui…
René à participé à la production de Dernier été, le premier film de Guédiguian puis par la suite, ils ont eu un différend. Faut dire que René n’était pas simple tout le temps. Chacun a mené sa route et puis on s’est revus, un peu avant son décès.
J’espère que les films de René Féret retrouveront, un jour, la lumière qu’ils méritent
Dans les temps que nous vivons, ce sera très difficile. C’est complètement injuste. La Communion solennelle a été sélectionné à Cannes. Je me souviens qu’avec tous les comédiens du film, on a monté les marches en chantant Bella Ciao, c’est un souvenir inoubliable.
Il y avait Marcel Dalio dans la troupe ?
Oui, insensé ! Dalio représentait pour moi tout le cinéma d’avant-guerre puis des années 50, c’était très étrange. Certains jours il était très gentil, d’autres tout le contraire. Je trouve que les comédiens d’aujourd’hui sont tellement compassés, petits bourgeois. Il avait une démesure que plus personne n’a, à part Gérard Depardieu.
Propos recueillis et édités par F-X Thuaud pour Le Bleu du Miroir