PANORAMA ET FORUM – Berlinale 2024 | Morceaux choisis
Si les vitrines des grands événements cinématographiques que sont les festivals comme Cannes ou Venise restent leurs compétitions internationales, c’est bien souvent du coté de ce qu’on appelle « les sélections parallèles » qu’on déniche bien des trésors. À ce titre, le Panorama de la Berlinale est une sélection pourvoyeuse de nombreux films pour l’année d’exploitation en salle. Réputée plus austère et moins exposée que son homologue cannoise de la Quinzaine des cinéastes, ou qu’Un certain regard, cette alcôve berlinoise a fait sa spécialité de dénicher des films d’Europe centrale, d’Asie ou de territoires inhabituels, qui permettent de magnifiques découvertes, pleines de promesses. On avait pu ainsi y voir pour la première fois Sages-Femmes de Léa Fehner l’an passé, ou encore un film comme Nuit noire en Anatolie d’Özcan Alper, dont la sortie est prévue en France ce mercredi 14 février.
Cette splendide « terre de découvertes » demande donc un regard acéré pour y reconnaître les grands cinéastes de demain, mais voit également le retour d’autres, moins prestigieux, mais pas moins intéressant, comme Ray Yeung, qui avait impressionné par la qualité de son film précédent, Un printemps à Hong-Kong, qui avait réussi à se frayer un chemin jusqu’à nos salles, en dépit d’une période troublée par la pandémie mondiale, et une exploitation cinématographique contrariée pendant de longs mois. Dans All Shall be Well, on retrouve Tai Bo, acteur magnifique qui avait illuminé Un printemps à Hong-Kong avec son personnage de grand-père vivant son homosexualité à l’abri des regards de sa famille, ainsi que la majorité du casting qui l’accompagnait. Cet esprit de troupe est un des grands atouts qui explique la qualité de la direction d’acteurs qui entoure les films de Ray Yeung.
C’est un premier film brésilien nommé Bêtania qui a ensuite attiré notre attention. Marcelo Botta, son scénariste et metteur en scène, réalise ici ses grands débuts dans l’univers des longs-métrages de fictions, après une dizaine d’années passée à réaliser des séries. Cette histoire de renaissance d’une femme de 60 ans, au nord du Brésil dans un lieu à la lisière du désert et de l’Amazone, est aussi une première fois pour la majorité du casting, et notamment pour Diana Mattos, qui incarne le rôle titre de Bêtania.
Autre premier film intrigant, Cu Li Never cries de Pham Ngov Lân, en provenance du Vietnam. Après le sublime L’arbre au papillons d’or de Pham Thien An, c’est un nouveau premier film de ce pays de cinéma assez inhabituel qui se retrouve sélectionné dans un grand festival. Histoire de famille gravitant autour d’un mariage très attendu, le film a été tourné dans une photographie entièrement en noir et blanc, dans un prolongement de cette envie de découverte de ce cinéma vietnamien qui semble si nouveau et empli d’idées de mise en scène.
La Berlinale est traditionnellement un endroit privilégié pour les amoureux du cinema chinois, de grands réalisateurs y sont passés, tel Diao Yi’nan, Ours d’or pour Black Coal, ou encore Lou Ye (Nuits d’ivresse printanière) ou l’an passé Zhang Lu et son Shadowless tower. 2024 sera l’occasion de faire connaissance avec la caméra de Lin Jianjie, jeune réalisateur ayant fait ses études de cinéma à New York university. Brief history of a Family joue du mystère entourant l’ami du fils d’une famille classique chinoise, venu diner un soir. Film en préparation depuis 2016, il promet des surprises et des secrets, dans un travail d’écriture minutieux.
On change de continent avec Memorias de un Cuerpo arde, ou Mémoires d’un corps brûlant, film costaricain réalisé par Antonella Sudasassi Furniss. Ayant centré son récit autour de trois femmes ayant près de 70 ans, la réalisatrice décide de regarder leurs corps comme réceptacles mémoriels, là où toute une vie se niche, à l’aune d’un regard féministe puissant qui veut déconstruire les idées reçues sur le corps féminin.
Le panorama de la Berlinale est aussi bien souvent l’opportunité de croiser des noms familiers, comme celui de Jérémy Clapin, gagnant du Grand prix de la Semaine de la critique à Cannes en 2019, ainsi que du César 2020 de meilleur film d’animation, pour J’ai perdu mon corps. Pendant ce temps sur Terre est son premier long-métrage en prises de vue réelles, et plus tourné encore vers le fantastique avec une histoire où un homme disparaît après une mission spatiale, laissant seule sa sœur dont il était très proche. Elle se retrouve peu de temps après contactée par une forme de vie non identifiée, qui la met face à un choix cornélien. Un tel résumé laisse aussi perplexe qu’intrigué, le film sera servi par un casting où l’on va de découvertes de nouveaux visages, comme Megan Northam et Sofia Lesaffre, ou des talents confirmés comme Catherine Salée ou Sam Louwyck.
Cette édition sera aussi l’occasion de voir Les gens d’à coté d’André Téchiné, quatre-vingts ans, dont plus de cinquante au service du cinéma. Isabelle Huppert et Hafsia Herzi occupent les premiers rôles du film aux cotés de Nahuel Perez Biscayart. Huppert y joue une flic scientifique partant à la retraite, qui découvre que le couple qui vient d’emménager à coté de chez elle a un lourd passif d’activiste anti-police. La tension dramatique et les sentiments contraires qui émanent de ce script crée d’emblée une attente curieuse pour cette nouvelle fiction du cinéaste vétéran français et son très beau casting.
On peut enfin signaler la présence d’un séduisant contingent américain dans ce Panorama 2024, avec I saw the TV Glow de Jane Schoenbrun, récit fantastique où la télévision devient un passage vers des mondes colorés. À ses cotés, on trouve également Janet Planet d’Annie Baker. Julianne Nicholson, Zoe Ziegler et Will Patton occupent le devant de la scène pour cette histoire se situant au début des années 1990 le temps d’un été, celui où une adolescente commence peu à peu à s’éloigner de sa mère et entrer dans la pré-adolescence et un univers nouveau.
Dernier film de ce Panorama qui accroche notre regard, Les Paradis de Diane de Carmen Jaquier, réalisatrice suisse qui avait réussit un très beau premier film, Foudre, qui peine à sortir en France, programmé pour le mois de mai prochain, malgré d’indéniables qualités visuelles et de narration. Gageons que cette histoire de jeune mère ayant pris la fuite toute de suite après son accouchement, aura plus de chances de se faire remarquer que son prédécesseur.
A côté de ce panorama gravite des dizaines de long-métrages dans les sélections Génération et Forum, sans oublier la compétition Encounters centrées sur les nouveaux talents. S’il est très difficile de faire des paris et un état des lieux tant les films y sont nombreux et difficiles à cerner, nous avons noté la présence du deuxième film de Vinothraj PS, gagnant du Tigre du festival de Rotterdam en 2022 avec Pebbles. Cette nouvelle histoire s’intitule The Adamant Girl (Kottukkali), et raconte l’histoire d’amour interdite entre deux personnes issues de deux castes indiennes différentes. Le film met l’accent sur une misogynie rampante qui contamine toujours la société indienne, mais aussi une toile de fonds religieuse agressive qui met en danger l’amour des deux personnages.
Le forum 2024 sera aussi l’occasion de voir le nouveau film de l’acteur d’Old Boy, Choi Minsik, Exhuma, réalisé par Jang Jaehyun. Histoire de malédiction familiale, de shamans et de rituels étranges, c’est une bizarrerie entre horreur et thriller que nous promet les premier échos entourant le film.
Toujours en Extrème-Orient, et pour conclure cette présentation, on note la présence d’All the long nights de Shô Miyake, réalisateur de La beauté du geste, sorti sur les écrans français en août 2023. Deux collègues de travail se rapprochent car ils souffrent tous deux de problèmes d’anxiété et de crises de paniques. Cette belle histoire d’entraide dans une société japonaise où l’on tolère peu la faiblesse, notamment physique, verra sa Première internationale au Forum de la Berlinale.